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Anahid Abad - Yeva

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© Venera Films, 2019

Yéva : en quête du paradis
par Zareh Arevshatian
Asbarez, 16.09.2019


Yéva, film d'Anahid Abad, débute dans l'obscurité. Il pleut. Une femme, portant un parapluie, se hâte vers un immeuble, la nuit. Elle découvre alors sa jeune fille qui l'attend. On ne comprend vraiment leur situation que quelques scènes plus tard. Elle est en fuite, mais malgré l'absence des poursuivants, le film se fait progressivement le récit de la tentative d'une femme pour échapper à la violence familiale; un récit inspiré d'histoires vraies trop nombreuses.

Nariné Grigorian interprète le rôle principal, une femme prise au piège par les circonstances et des choix personnels. Accusée par sa belle-famille d'avoir tué son mari, Yéva est contrainte de fuit Erevan avec sa fille Nareh et de se réfugier dans un petit village reculé, Dadivank, en Artsakh (Nagorno-Karabagh) où Rouben, un ami et ancien combattant, avec sa femme Sona, l'accueille à bras ouverts chez lui. La vie intime de Yéva reste cachée. On n'a qu'un aperçu de ce qui lui est arrivé et, à mesure que le récit dévoile ses secrets, le film nous met dans un état contradictoire entre optimisme et fatalisme, nous laissant dramatiquement seuls avec sa fille.

Le film peut donner l'impression de recourir aux ingrédients d'un mélodrame familial moderne, saturé de discours larmoyants et d'actes dangereux propres à l'égoïsme parental, mais les spectateurs doivent s'attendre à une affaire plus contemplative. Si le film ressemble et résonne à la manière d'une production télévisée conventionnelle, il traduit toutefois une expérience féminine très singulière. Il ne s'agit pas d'un film sur une Arménienne en cavale. Il est question de tensions familiales, l'histoire des femmes en Arménie.

Yéva est l'équivalent arménien d'Eve, personnage biblique, mais comme nous l'avons vu plus haut, le film ne la concerne pas seulement. Il s'agit des générations de femmes vivant dans une société arménienne patriarcale. Alors qu'une famille arménienne traditionnelle se contente de réagir à la volonté du destin, ici nous sommes en présence de femmes qui tentent de changer le leur. Dans ce film les femmes sont objets de réflexion et vecteurs de changement culturel et social. Les femmes de Yéva sont des survivantes.

En Arménie, la violence familiale est souvent sous-estimée, assimilée à une "affaire de famille." Ces "affaires" ne franchissent pas les limites du foyer et sont rarement signalées à la police. Par ailleurs, les hommes ont des droits de propriété et sont habituellement propriétaires du domicile familial. Se pose en outre la question de la protection et/ou de la privation des droits parentaux en Arménie et de leur traitement juridique. Même si aucune de ces questions n'est citée explicitement dans le film, elles constituent en fait l'ossature de ce drame et, c'est tout le mérite d'Anahit Abad, son film se charge de lancer, espérons-le, un courant dans le cinéma arménien, dans lequel des problèmes sociaux urgents et importants sont traités sans condescendance ni vulgarité, comme elles le sont dans les séries violentes qui inondent les chaînes de télévision.

En se focalisant sur les femmes, Abad crée un film contradictoire : un signe de bienveillance empreint de culpabilité et de célébration de la force féminine. Excepté l'officier de police chargé d'appliquer la loi, les hommes ne sont pas au centre de ce film. Ils sont présents, mais le film ne tourne pas autour d'eux. Sensibles à la cause de Yéva, ils essaient tous de lui donner un coup de main, mais finissent par échouer.

Coproduit entre la Fondation iranienne Farabi du Cinéma et le Centre National du Film d'Arménie, Yéva est la première coproduction arméno-iranienne, le premier film arménien avec une équipe de production iranienne, et le premier long métrage dirigé par une Arméno-iranienne. Issue d'une famille arménienne de Téhéran, en Iran, Anahid Abad est titulaire d'une licence d'études cinématographiques. Dans sa carrière, elle a travaillé comme première assistante réalisatrice et directrice de production dans plusieurs films iraniens. Rien d'étonnant à ce que le premier long métrage d'Abad se déroule en Artsakh, une région dont est issue sa famille paternelle.

Dans sa collaboration avec le cinéaste Hassan Karimi, Abad élabore un univers aux couleurs impressionnantes, composé presque entièrement de plans moyens, lequel saisit la convivialité des villageois et de leur quotidien sans paraître s'immiscer dans leur espace. Une tension visuelle se produit entre les plans spectaculaires des paysages entourant le village et les couleurs assourdies des intérieurs comme pour indiquer une sensation d'emprisonnement au sein d'un espace historique et ancestral. Et même si la "Guerre" est sans cesse rappelée, ressentie nettement en arrière-plan, la "famille" constitue le thème central d'Yeva.                              

Le charme du film réside en partie dans les scènes montrant la dimension communautaire du dîner, que ce soit un dîner de bienvenue ou un mariage local. Chacun sait qu'un dîner arménien est un témoignage de générosité. Nulle discrimination entre famille, amis et même les étrangers lors de ces réunions, autant de moments que saisit admirablement Anahid Abad. Néanmoins, la façon avec laquelle ces scènes agissent comme des ponts entre les moments intimes de la famille et les chocs qui s'ensuivent témoigne du talent d'Abad pour susciter un climat émotionnel bigarré, à la fois tendre et poignant. Le film ne dure que 94 minutes, mais capte avec brio les forces culturelles et sociales en jeu, faisant du village le microcosme de tout un peuple.

Yévamet en scène toute une distribution d'acteurs issus du théâtre et du cinéma arménien, livrant une galerie de portraits étonnamment neufs. Chant Hovhannissian, popularisé dans la série policière New York, unité spéciale, interprète Rouben, affable et sympathique. Les amateurs de la série Full House [La Fête à la Maison] ne reconnaîtront peut-être pas Marjan Avetissian, la propriétaire, Madame Tamara dans l'émission, en Hasmik dans le film, tandis que Rosie Avetisova, qui se produit principalement dans des feuilletons et des séries épisodiques, apparaît dans un rôle modeste, mais central dans le film. Le film compte aussi des villageois non professionnels jouant simplement leur propre rôle. Notons que l'héroïne, Narineh Grigorian, native de l'Artsakh, est la seule actrice autochtone ne parlant pas avec l'accent local. Tous les autres acteurs du film sont originaires d'Erevan, mais s'expriment dans un dialecte local.

En 2018, Yéva a vu sa participation interdite lors du Festival international du Film de Femmes - Filmmor en Turquie, à la demande du gouvernement azerbaïdjanais, sous prétexte que le film "donne l'impression que l'Artsakh est un territoire arménien." Quoi qu'il en soit, le film a remporté plusieurs prix et récompenses à travers le monde.

Représentant l'Arménie dans la catégorie du Meilleur Film Etranger aux Oscars du Cinéma 2018, Yéva est actuellement distribué par la société Venera Films, basée à New York. Une adaptation au théâtre est prévue en Amérique du Nord fin octobre 2019.

Yévasera présenté à New York le 25 octobre et à Los Angeles le 1er novembre au cinéma Laemmle Glendale, 207 North Maryland Avenue, Glendale, CA 91206. Pour plus d'informations consulter la page Facebook.1                

Note


[Zareh Arevshatian suit des études cinématographiques à Los Angeles.]
___________

Traduction : © Georges Festa - 11.2019




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