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Yervant Alexanian - Forced into Genocide: Memoirs of an Armenian Soldier in the Ottoman Turkish Army

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 © Routledge, 2017

Des mémoires où émotion et faits composent un mélange puissant

par Esayi Garbisian



Lors de sa toute première présentation publique de Forced into Genocide: Memoirs of an Armenian Soldier in the Ottoman Turkish Army de Yervant Alexanian, l'éditrice du livre et fille de l'A., Adrienne Alexanian, aborda un paragraphe où elle réalisa qu'elle ne pourrait le lire, tout en gardant son sang-froid. Elle demanda alors à l'organisateur de cette manifestation de lire ce paragraphe qui débute ainsi : "Chaque année, lors de la Fête des Mères, ma mémoire revient au 3 juillet 1915, le jour où ma mère me baisa les yeux en me disant : 'Adieu mon fils, prends soin de toi.' Elle prenait la route menant à la déportation forcée et à la famine, tandis que je devais repartir dans ma caserne accomplir mon service militaire au profit du régime qui conduisait ma mère à une mort imposée, les yeux grands ouverts [...]"

L'intensité de l'émotion d'Adrienne Alexanian se fait compréhensible et légitime quand on parcourt ces mémoires saisissants de Yervant Alexanian, qui fit le choix de garder le manuscrit, écrit en arménien, à l'insu de sa femme et de sa fille. On réalise aussi, une fois de plus, pourquoi tant de survivants du génocide ont conservé à part les détails des atrocités sans nom qu'ils avaient endurées, afin de préserver leurs familles et leurs enfants du traumatisme intense que ces révélations étaient susceptibles de provoquer.
Quel être, doté de sentiments humains innés, ne saurait être touché par la description qui suit de Yervant Alexanian, développant la citation plus haut ?
"La pire journée de mon existence fut le 3 juillet 1915, lorsque je vis cinquante et un membres de ma famille disparaître derrière une colline. Je m'en souviens comme si c'était hier - après avoir passé la nuit sur les rives du Halys, la sinistre caravane où se trouvait ma famille fut réveillée et conduite vers les Monts Kartashlar Yokush [Karde ler Yoku u - les Deux Collines]. Ils escaladaient le Golgotha arménien. Je me trouvais là et je contemplais ma mère et tous les miens gravir ces hauteurs pour ne plus jamais les revoir. Au total, j'ai perdu cinquante et un membres de ma famille ce jour-là."

Yervant Alexanian est témoin de nombreux massacres d'Arméniens durant son service militaire dans l'armée turque ottomane. L'un d'eux se produit à Smyrne, où il est stationné, et le déconcerte. Les Arméniens fuyant la folie génocidaire des tueurs se précipitent dans le port et nagent vers les cuirassés des Forces Alliées - dont les troupes assistent aux tueries sur la côte - croyant que les chrétiens à bord les sauveraient. Au lieu de cela, nombreux sont les cuirassés qui activent impitoyablement leurs chaudières afin de tenir à distance ces malheureux Arméniens, les vouant à la noyade. Inversement, seul un cuirassé japonais lance à l'eau une échelle de corde pour sauver les rares Arméniens survivants.
Mais, avant tout cela, dans les premiers chapitres du livre, Yervant Alexanian décrit la vie quotidienne de sa famille, ses compatriotes arméniens et leurs relations avec les Turcs au sein de sa communauté. Alexanian est bien décidé à achever ses études, mais il doit travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère, son père étant décédé jeune. Il occupe plusieurs emplois consécutivement. C'est un étudiant très brillant et un employé efficace.
Le tableau détaillé que livre Alexanian de sa communauté relate avec précision l'existence industrieuse et trépidante que menaient les habitants de Sivas en 1912, 1913 et 1914. L'école arménienne Aramian et celle des Jésuites français fortifiaient leurs élèves à l'aide d'initiatives éducatives et périscolaires telles que des concours de compositions, des activités sportives et de plein air, ainsi que le scoutisme, imitées ensuite par l'école turque Sultaniye qui forme ses groupes Izji [izcilik - scouts]. Les trois établissements s'affrontent lors de concours d'équitation et de lutte. En 1913, ils organisent des "Jeux Olympiques" entre les trois groupes scouts; au terme de cette manifestation, tous se tiennent au garde-à-vous et entonnent l'hymne national turc.
Alexanian se souvient : "Les Arméniens étaient très impliqués non seulement dans les compétitions d'athlétisme et les mouvements scouts, mais aussi dans les festivités à Sivas. Avant 1914, les Arméniens faisaient partie intégrante de Sivas; nul n'aurait cru qu'ils puissent être anéantis aussi rapidement, et si brutalement. Personne n'aurait prévu ce qui allait nous arriver, même ceux qui avaient survécu aux nombreux pogroms et massacres, comme les massacres hamidiens [de 1894-1896], qui avaient précédé le génocide de 1915."
En juin 1915, Alexanian est enrôlé au sein de l'armée ottomane, dans la tourmente des humiliations, arrestations et assassinats imposés par le gouvernement à la population arménienne de Sivas, avant même les déportations. Grâce à sa bonne étoile et à son intelligence, Alexanian reste en vie dans l'armée. Tout d'abord, le kaymakan [gouverneur] Halil ükrü Bey - réputé comme un homme consciencieux qui protège les droits des Arméniens, et qui apprécie aussi Alexanian pour ses services - veille à ce qu'il soit affecté comme tailleur pour l'armée. Alexanian dépeint de façon saisissante les conditions de travail et l'existence dans cet atelier dont tous les employés sont des soldats arméniens récemment incorporés. Dès lors, tout en servant dans l'armée turque ottomane, Alexanian relate, dans le chapitre intitulé "Déportation et génocide," son vécu personnel avec dates et noms au cours de l'un des plus grands crimes de l'histoire de l'humanité.
Le lecteur sera toutefois étonné de découvrir qu'Alexanian respecte habilement un équilibre entre l'enfer sur terre et des échanges humains normaux, avec parfois une touche d'humour espiègle. Alexanian précise par exemple qu'il a lu et écrit des lettres pour de nombreux soldats turcs illettrés, l'un d'eux, simple d'esprit, lui demandant, explique-t-il, "non seulement de lui lire la lettre, mais aussi de me boucher les oreilles pour que je ne puisse pas entendre ce que je le lisais."
Renvoyant à l'existence opprimée et au quasi-servage imposés par les officiers turcs aux soldats d'origine arménienne dans les casernements de l'armée ottomane à Sivas, Alexanian se souvient : "Bien sûr, on nous avait épargné les déportations, mais la mort, telle une épée de Damoclès, planait sur nous à chaque instant." Constat qui devient réalité au terme de ses deux premières années de service : vingt soldats arméniens, dont Alexanian, qui travaillent tous pour l'armée ottomane contre un morceau de pain et une poignée de boulgour par jour, reçoivent l'ordre de former deux rangs contre un mur dans la cour de la caserne. Artisans doués, ils confectionnaient des uniformes et des bottes pour les troupes turques. Alexanian cite leurs noms un par un. Le commandant ordonne de séparer du groupe Alexanian et Arménak Aslanian, et d'envoyer les autres vers une destination inconnue. Alexanian pense qu'il a été épargné car il était le seul à pouvoir jouer du clairon. Trois jours plus tard, alors qu'il se trouve au-dehors pour des courses, il découvre les vêtements ensanglantés de ses dix-huit camarades en vente au marché.
Dans plusieurs chapitres, quelques répétitions délibérées aident le lecteur à situer les événements dans leur ordre et leur contexte, sans pour autant renvoyer aux chapitres précédents. En outre, chaque répétition élève le sujet à un niveau plus haut, comme si elle conduisait le lecteur sur une route ascendante en spirale. Au point culminant de chaque montée, Alexanian veut nous faire prendre conscience de l'énormité de cette tragédie - du summum des atrocités, épisode après épisode, être humain après être humain, nom après nom...
Tout au long du livre, Alexanian répète qu'il est révulsé par la violence injustifiée perpétrée contre les Arméniens innocents. Evoquant ses trois rencontres avec Enver Pacha, ministre de la Guerre, Alexanian précise : "Je l'ai rencontré une première fois alors qu'il traversait Sivas en direction du front russe [...] Arrivé au front, il fut blessé. Il fut exfiltré du champ de bataille par un lieutenant arménien nommé Hovannès Aguinian. En récompense, toute la famille de ce dernier fut déportée et trouva la mort."
Concernant la destruction des siens, Alexanian déclare : "[...] Aucune de ces victimes innocentes n'était membre d'un parti politique, ni impliquée dans une activité politique. Leurs vies quotidiennes se passait à travailler, veiller sur leurs familles et faire de leur mieux pour survivre. Leurs plaisirs se limitaient à des réunions familiales de temps à autre, des mariages, des baptêmes et autres circonstances similaires. Leur seul crime était d'être arméniens."
Outre une lecture captivante pour tout lecteur, ce livre apporte un point de vue unique et contribue de façon importante à la recherche universitaire. Il est par ailleurs enrichi d'une superbe préface du Dr. Sergio La Porta, qui replace l'ouvrage dans un contexte historique plus large.
Au plan personnel, l'oncle maternel de mon père fut lui aussi enrôlé dans l'armée turque ottomane. Il fut envoyé combattre à la bataille de Gallipoli, appelée aussi campagne des Dardanelles [Çanakkale Savası, 1915]. Après avoir combattu pour l'armée ottomane et survécu à cette guerre, il fut envoyé dans un camp militaire de travaux forcés, réservé aux Arméniens et autres minorités, appelé "Amele Taburu," puis la famille de mon père n'eut plus de nouvelles de lui... Depuis l'âge de vingt-cinq ans, quand ceci me fut révélé, je me demandais et j'essayais de visualiser quel genre d'existence tortueuse il dut endurer avant d'être cruellement assassiné, alors qu'il servait dans l'armée turque ottomane. Grâce à ses mémoires, Yervant Alexanian, en tant que source primaire, m'a enfin donné la réponse.
Les spécialistes du domaine, ainsi que les lecteurs curieux, ne manqueront pas d'être profondément reconnaissants envers Adrienne Alexanian, qui a travaillé d'arrache-pied à la traduction et publié ce trésor unique. De fait, des personnalités comme le Dr. Israël W. Charny, le Dr. Taner Akçam, le Dr. Vartan Gregorian, Frank Pallone, Eric Bogosian et Andrew Goldberg ont fait l'éloge de cet ouvrage fondamental. Récemment, la Fondation sur la Shoah de l'université de Californie du Sud a elle aussi ajouté ce titre sur son remarquable site de témoignages dans deux rubriques - la page arménienne et celle dédiée aux ressources. Ce sont les premiers et les seuls mémoires arméniens à y figurer aux côtés de ceux, célèbres, d'Anne Frank.
Les efforts sans faille d'Adrienne Alexanian pour faire connaître ce livre à un public plus large de lecteurs à travers les Etats-Unis contribueront sans nul doute à faire prendre conscience du génocide ici et à l'étranger, afin que les génocides soient reconnus et évités concrètement à travers le monde. Guidée par cet objectif, elle n'accepte aucune rétribution et fait don de tous les bénéfices aux associations qui l'accueillent. Globalement, Adrienne Alexanian mérite tous les éloges pour cette réalisation exemplaire et sa digne contribution à l'humanité.                                           

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Traduction : © Georges Festa - 08.2018



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