© https://armenian.usc.edu/programs/innovate-armenia/
Innovate Armenia 2017 :
des chercheurs et des artistes repensent et ré-imaginent identité, enseignement et culture
The Armenian Mirror-Spectator (Watertown, MA), 14.10.2017
LOS ANGELES (LA Weekly) - Samedi 23 septembre, la diaspora arménienne dans toute sa richesse multiculturelle était à l'honneur : l'USC accueillait Innovate Armenia 2017.
Ce festival d'une journée, âgé maintenant de trois ans, s'étalait de l'Alumni Park au Bovard Auditorium et à la Doheny Library, avec près de trois mille personnes présentes et deux mille autres via les réseaux sociaux.
Scientifiques, musiciens, chefs d'entreprises, humanitaires et intellectuels ont pris la parole à des titres divers sur trois scènes et une dizaine de stands dédiés.
Un siècle après le génocide, la diaspora arménienne - spiourk - est forte de 7 millions de membres, 3 autres millions vivant dans les terres ancestrales qui ont obtenu leur indépendance de l'Union Soviétique en 1991.
"Une époque formidable pour l'identité arménienne, il ne suffit pas de regarder en arrière si l'on veut soutenir la communauté," précise Salpi Ghazarian, organisatrice du festival et directrice de l'Institut d'Etudes Arméniennes à l'USC. "Au 21ème siècle on ré-imagine et on réinvente tant de choses - communauté, identité; société, travail, loisirs, apprentissage, enseignement. Innovate Armenia rassemble le meilleur de l'Arménie avec le meilleur de la diaspora," poursuit-elle.
Dont Hovig Etyemezian, Libano-arménien, défenseur des droits de l'homme aux Nations Unies, en charge de la protection de près d'un million d'Irakiens déplacés, de retour à Mossoul après sa libération du joug de l'EI.
Et Noraïr Chahinian, photographe brésilo-arménien, qui a restitué - à travers ses images saisissantes d'espaces à l'abandon et d'humanité résistante - une Arménie turque qui refuse obstinément de disparaître.
Et aussi David Ignatius, éditorialiste au Washington Post, en charge des affaires étrangères, qui incarne l'hybridité de la diaspora via son père arméno-américain, sa mère anglo-américaine, son épouse suédo-américaine, et son gendre cubano-américain.
Ignatius, Etyemezian et Chahinian faisaient partie des 58 intervenants qui ont emmené les festivaliers dans un flot ininterrompu de débats stimulants.
Un climat d'unité
A l'extérieur, des tacos en mode gyroscope grésillaient sur des barbecues, tandis que les invités se régalaient de roulés et de salades, de nachos aux chips de pita, garnis de fromage, et de piroshkis frites.
"C'est génial !" déclare Inessa Vardian, étudiante en cinéma du Glendale Community College, en train de grignoter un pita garni de Nutella. "J'adore l'ambiance et tous ces gens réunis, et aussi le fait que l'Ecole soutient à fond l'événement !" Rentrée récemment d'un voyage de trois mois en Arménie, Vardian est venue avec sa sœur, Agnessa, étudiante en sciences politiques à l'USC et bénévole du festival.
Elles rejoignent aussitôt un tas de gens qu'elles connaissent, tandis que l'Alumni Park bruit d'activité.
Depuis la scène musicale, une rangée de huit groupes distrayait la foule dans des styles allant de la pop et du jazz à des remix audacieux qui redonnaient vie aux rythmes et aux mélodies arméniennes traditionnelles.
Au-dessus, au stand des Vins Arméniens, les festivaliers sirotaient d'anciens cépages remontant à 4 200 ans avant notre ère - réalisés à partir de vignobles régionaux comme les emblématiques Areni, Haghtanak, Kangoun et Rkatsiteli. Dégustations gratuites et agrémentés de chocolats de la boutique Bitter & Sweet de Glendale.
Dans l'espace Echecs, Tatev Abrahamyan, membre de l'équipe féminine des Etats-Unis, était opposée à 10 joueurs simultanément; ses mèches zébrées lavande-violet bravant les conventions communément admises quant au look d'un grand-maître d'échecs. Avec Andranik Matikozyan, grand-maître international, elle a livré près de 100 parties durant le festival.
Les échecs restent très populaires en Arménie - ils font partie officiellement du programme scolaire - comme l'a prouvé le jeune Vartan, 6 ans, qui a donné le coup de grâce à Andrew Nazarians, un bénévole du festival, étudiant en génie électrique au Glendale Community College.
"Je jouais avec Tatev et Andranik, et puis Vartan est arrivé et il m'a achevé !" s'amuse Nazarians.
Réapprendre et ré-imaginer
Non loin, au stand Teach for Armenia [Enseigner pour l'Arménie], Khachig Choukhajian, originaire de Pasadena, parlait de son expérience de professeur d'histoire, l'an dernier, dans un village de 500 habitants, au nord de l'Arménie. Ce diplômé de l'UCLA est l'un des 70 enseignants qui exercent actuellement dans le cadre d'une ONG qui propose des méthodes progressistes dans les écoles rurales arméniennes.
"Un grand nombre d'enseignants locaux sont le produit de l'enseignement soviétique," explique Choukhajian. "Beaucoup d'apprentissage par cœur et copier ce qui est écrit au tableau."
Tout le système éducatif arménien n'est pas aussi rétrograde. Plusieurs stands présentaient des institutions pionnières, comme la Real School, qui propose des cours du soir de codage informatique à des jeunes dans les villes et les campagnes d'Arménie; ainsi que l'United World College, un réseau international de 17 internats qui a ouvert un campus à Dilijan, il y a quatre ans, insufflant une passion pour l'Arménie à quelque 200 étudiants méritants qui étudient actuellement là-bas et assumeront peut-être un jour des fonctions dirigeantes à travers le monde.
La technologie constituait un autre thème dominant du festival, cette année.
Au stand "Création d'espace," une imprimante 3D se démenait, sculptant une réplique en miniature du temple de Garni, ce célèbre site préchrétien du 1er siècle dans les environs d'Erevan. Des étudiants arméno-américains de la Viterbi School of Engineering de l'USC et du Community College de Glendale montraient plusieurs robots armés qu'ils avaient conçus. Non loin, un ballon solaire noir, en forme de tente, flottait au vent, dans le cadre de l'espace d'exposition du programme d'astronautique de la Viterbi School.
Sur la scène du Bovard Auditorium, une table ronde réunissant des étudiants du California Institute of Technology (Caltech) expliquait comment un modeste programme de robotique au Community College de Glendale a ouvert la voie au premier institut de technologie dans le pays, où tous sont actuellement doctorants.
Un peu plus tard, Paul Berberian, PDG de Sphero, relata comment des robots jouets contrôlés par smartphone, créés par son entreprise basée à Boulder, au Colorado, transmettent à des millions d'écoliers une passion pour les maths et les sciences.
Un réveil culturel
D'autres échanges au Bovard Auditorium furent plus sombres, mais tout aussi stimulants.
Natif d'Istanbul et doctorant en études orientales à l'université d'Oxford, Ari Sekeryan parla avec émotion de son éveil culturel dans le contexte de la suppression de l'identité arménienne par la Turquie officielle.
"A ma naissance en 1989, personne dans ma famille n'était capable de parler arménien. Je n'oublierai jamais ce tout premier jour à l'école élémentaire arménienne," précise-t-il. "Le maître s'est approché de moi et m'a demandé en arménien :"Comment t'appelles-tu ?" J'en ai pleuré !"
Les historiennes Lerna Ekmekçioğlu et Melissa Bilal ont présenté leur projet internet documentant les contributions de 12 féministes arméniennes pionnières, dont Zabel Essayan, écrivaine et militante de premier plan. Les deux chercheuses, qui ont fait leurs études en Turquie, et actuellement enseignantes au MIT, considèrent ce travail comme essentiel afin de proposer des rôles-modèles intellectuels forts aux femmes et aux jeunes filles arméniennes.
Innovateur dans le secteur des médias, Arman Jilavian parla avec éloquence de l'aspiration collective au sein de la diaspora à une pleine maîtrise de l'histoire, de la langue et de la culture arméniennes.
"Nous avons perdu le sens, le statut, la conscience des possédants," déclara-t-il. "Nous sommes des locataires."
Outre la gestion de plusieurs marques média en Russie, Jilavian est PDG de l'Initiative Humanitaire Aurora, un prix humanitaire international doté d'un million de dollars, décerné chaque année lors d'une cérémonie à Erevan.
Ce prix humanitaire, basé en Arménie, envoie au monde un message fort, comme le précise Jilavian : "Il redonne forme et précise notre identité collective... Son message est : 'Nous avons une vision globale. Nous ne faisons pas que prendre, nous donnons.'"
Dépasser le statut de victime
Cent ans après le génocide, la génération actuelle des Arméniens dans le monde se tourne vers l'avenir et s'interroge sur ce qu'elle peut faire pour rendre le monde meilleur.
"Dès lors que tu es capable d'aider les autres, tu cesses d'être une victime ou un survivant, et tu commences à devenir un gagnant, quelqu'un qui assume sa vie," poursuit Jilavian.
David Ignatius, qui s'entretenait en vidéoconférence avec son frère cadet Adi Ignatius, rédacteur en chef de la Harvard Business Review, fait écho au message de Jilavian. "A mon avis, l'idée de commémorer et d'honorer les souffrances de nos ancêtres est essentielle," estime le journaliste, qui est aussi auteur de romans d'espionnage à succès. "Mais c'est vraiment quand tu agis pour aider les autres [...] que tu arrives pleinement à surmonter cette tragédie du passé."
"Le noyau de l'identité arménienne, suggère-t-il, ne devrait pas être "le fait que nous souffrons, mais que nous avons appris comment aider les autres qui souffrent."
Alors que le festival touchait à sa fin, Arthur Kokozian, de La Crescenta, s'associait avec Karine Zakarian, allergologue originaire de Glendale.
Interrogé sur sa vision du programme 2017, Kokozian, qui préside l'association américano-arménienne Rose Float, a déclaré : "Chaque année c'est de mieux en mieux. J'adore la manière avec laquelle la communauté se rassemble pour voir ce que les Arméniens de la diaspora réalisent, et comment nous agissons ensemble pour nous renforcer."
____________
Traduction : © Georges Festa - 01.2018