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Un documentaire se propose de rapprocher les communautés arménienne et turque
par Alin K. Gregorian
The Armenian Mirror-Spectator, 07.01.2017
CAMBRIDGE, Mass. - Un meurtre advenu il y a dix ans et un génocide vieux d'un siècle ont impressionné une femme au point de changer le cours de son existence.
Cette femme, Gonca Sönmez-Poole, une Turco-américaine, a créé la Turkish-Armenian Women's Association (TAWA) en 2012, afin de regrouper des femmes désireuses d'aborder franchement et ouvertement le génocide arménien et son impact sur les Turcs et les Arméniens.
"J'avais envie de faire quelque chose sur ce thème en général," déclarait récemment Sönmez-Poole, suite au meurtre de Hrant Dink. "Je savais que j'avais des choses à dire. Je suis capable de m'exprimer," dit-elle, notant qu'elle ne peut pas changer les mentalités à elle seule. "J'ai décidé de commencer à la suite de Hrant Dink. Je me suis lancée dans un groupe de dialogue."
Les entretiens et les amitiés qui en ont résulté entre septembre 2012 et mai 2014 sont maintenant en passe de devenir un documentaire.
Elle n'a pas enregistré les réunions, mais elle a demandé à plusieurs personnes impliquées de parler devant une caméra à un autre moment.
Sönmez-Poole, qui a travaillé plus de vingt ans dans l'émission "Chronicle" de la chaîne WCVB, explique qu'elle s'est rendue compte que beaucoup de gens pouvaient tirer profit de ce documentaire en termes d'éducation.
"J'avais envie de le faire pour tous ces gens" qui n'ont pas pris part aux entretiens, précise-t-elle.
Dans un précédent entretien sur ce film, elle déclare : "Ce documentaire, intitulé Neighbors in Memory... A Personal Journey, sera le premier du genre à explorer le rapport arméno-turc en partant de la base [...], en débutant par la rééducation d'une Turque (à savoir moi) et entrecroisant les pensées et les sentiments d'autres femmes qui se sont posé - ou qui se posent toujours - cette question : pourquoi cet événement vieux d'un siècle - le génocide arménien - continue-t-il d'être si controversé, si sensible et si important ?"
Sönmez-Poole a quitté sa Turquie natale pour une université américaine, ne sachant quasiment rien du génocide arménien. D'après les manuels d'histoire qu'elle avait lus à l'école, durant la Première Guerre mondiale les Arméniens ont trahi la Turquie en se rangeant aux côtés de la Russie ennemie. Sa sœur, de 13 ans sa cadette, subit elle aussi cette "désinformation pure et simple" sur le génocide.
Elle rappelle qu'elle est partie étudier aux Etats-Unis après son baccalauréat obtenu dans un lycée privé français d'Istanbul. "Mon père travaille beaucoup, il est formidable." Il accepta d'envoyer sa fille aux Etats-Unis étudier à l'Emerson College (Boston, MA).
"Un vrai choc culturel," se souvient-elle.
Après Emerson, elle a intégré l'université de Boston, où elle rencontra son futur mari, Curtis Poole. Elle est restée avec sa famille, dont ses deux enfants, aux Etats-Unis. Ses enfants, dit-elle, ont grandi avec un grand sens de leur héritage turc.
Sa prise de conscience du génocide arménien est, dit-elle, "à la fois une bénédiction et une malédiction."
Elle témoigne sa reconnaissance envers le docteur Pamela Steiner, de la Harvard School of Public Health, pour l'avoir conduite à un dialogue.
"Il a fallu huit ou neuf ans de diplomatie pour amener les gens à abattre les murs," se souvient-elle. Cette entreprise était faite d'ateliers, où Sönmez-Poole était souvent la seule Turque présente. Lorsque Hrant Dink fut assassiné, Sönmez-Poole "n'a pas pu s'empêcher" de crever l'abcès.
Créer TAWA et entrer dans le vif du sujet "a été formidable, incroyablement enrichissant," explique-t-elle, ajoutant : "La communauté turque me connaît très bien. Ils me respectent, mais il n'y a aucun soutien quand on aborde le sujet."
Partir en Turquie et rentrer
Durant deux ans, au début des années 1990, la famille repartit en Turquie, espérant de meilleures opportunités. Mais, même si les enfants étaient heureux d'être choyés par leurs grands-parents, le couple décida que son destin n'était pas de vivre en Turquie.
Ils retournèrent aux Etats-Unis, puis Sönmez-Poole s'inscrivit au programme de formation de la Fletcher School of Law and Diplomacy, durant lequel elle s'intéressa à la question kurde en Turquie. "C'était très enrichissant," dit-elle. D'où sa curiosité et son intérêt pour les droits des minorités en Turquie et les droits de l'homme en général.
Parallèlement, le thème du génocide arménien était toujours un "tabou" avec ses parents. Mais, poursuit-elle, ces deux dernières années, elle a observé "un début d'acceptation." Sa mère lui récemment confié des histoires dont elle avait entendu parler dans sa jeunesse sur les disparitions forcées des Arméniens.
Sönmez-Poole est la fondatrice de Mediation Way, Inc., une petite association à but non lucratif basée à Boston qui a été active de 1999 à 2012. Mediation Way a ainsi organisé, à ses débuts, une série de projections-débats sur les Roms, ainsi qu'une rencontre avec un auteur sur les relations arméno-turques, tenue à la Fletcher School of Law and Diplomacy en 2010.
Sönmez-Poole est titulaire d'une licence en communication de l'Emerson College, d'une maîtrise d'études cinématographiques de l'université de Boston et d'un DEA de formation en alternance de la Fletcher School of Law and Diplomacy, où elle a étudié la problématique des droits de l'homme dans le monde, des minorités, ainsi que la méthodologie de la médiation et du règlement des conflits.
Elle a organisé une projection d'extraits de ces dialogues enregistrés au Centre Elie Wiesel d'Etudes Juives de l'université de Boston, le mois dernier. Actuellement, elle collecte des fonds pour achever le film. "J'ai besoin d'argent pour embaucher un très bon photographe-vidéaste afin de [réaliser des séquences] accompagnant les entretiens," explique-t-elle.
Son objectif est de collecter 25 000 dollars pour achever le film. Une présentation de la partie réalisée est prévue le 6 avril à l'université de Framingham (MA).
"C'est un processus en plusieurs phases," reconnaît-elle.
Son souhait à long terme pour le film, dit-elle, est qu'il soit projeté aux Etats-Unis, ainsi qu'en Turquie et en Arménie. A court terme, elle aimerait qu'il soit présenté lors de manifestations locales, comme récemment à l'université de Boston. "J'aimerais m'en servir lors d'un débat pour susciter la parole," déclare-t-elle.
L'intérêt de ce documentaire est d'"explorer les sentiments et les pensées des autres.""C'est important d'écouter et d'observer la façon de penser et de réagir des autres," ajoute-t-elle. "C'est un outil que les gens peuvent utiliser pour s'écouter mutuellement."
Pour aider ce projet, consulter www.kickstarter.com/projects/513683760/neighbors-in-memorya-personal-journey
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Traduction : © Georges Festa - 07.2017