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Veintidós vidas, un livre sur les disparus d'origine arménienne sous la dictature - Entretien avec Cristian Sirouyan / Veintidós vidas, un libro sobre los desaparecidos de origen armenio en la dictadura - Entrevista a su autor Cristian Sirouyan

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 © Ediciones Ciccus, 2017


Veintidós vidas, un livre sur les disparus d'origine arménienne sous la dictature
Entretien avec Cristian Sirouyan
par Matías Romero



"Ce modeste aperçu sur la tragédie incommensurable de l'Argentine, marquée par les trente mille disparus et l'immense cohorte des exilés et prisonniers politiques, qui parvinrent à survivre à ce massacre, se propose de sauver de l'oubli, tout au moins, certains aspects de ces vingt-deux jeunes existences, réduites au silence par les cruelles méthodes de l'intolérance."

Veintidós vidas relate l'histoire de vingt-deux disparus d'origine arménienne durant la dernière dictature argentine, opérant des parallèles constants avec leurs biographies familiales en tant que descendants de survivants du génocide arménien.

Cette enquête, publiée par les éditions Ciccus, a été réalisée par Cristian Sirouyan, journaliste de Clarín et actuellement éditeur du supplément Voyages. S'intercalant entre chaque histoire, l'ouvrage est assorti de commentaires d'Eduardo Jozami, ancien directeur du Centre Culturel Haroldo Conti de l'ex-ESMA1, des journalistes Ariel Scher, Magda Tagtachian et Mariano Saravia, de Pedro Mouratian, expert consultant auprès du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme des Nations Unies, du compositeur Santiago Chotsourian, de l'écrivaine Ana Arzoumanian, de l'avocat et ancien juge León Arslanian, et d'un long épilogue du professeur Khatchik Derghougassian, entre autres.

"Sans justice, les conséquences du génocide perdurent et tant que la décision de donner corps à ces récits n'est pas prise, comme s'ils n'étaient pas réels, une forme de négationnisme se profile aussi," déclare Sirouyan au début du livre. A vrai dire, le thème était jusqu'à aujourd'hui passé sous silence au sein de la communauté arménienne.

Concernant l'objectif de cette enquête, Khatchik Derghougassian explique que "le thème des disparus arméniens dans la communauté est resté tabou, même après le retour de la démocratie" et il s'interroge sur "la disparition du thème des disparus arméniens dans la mémoire collective de la communauté en premier lieu, par conséquent de la diaspora, et enfin de l'Etat arménien." L'A. tente ci-dessous de répondre à cette question.

- Matías Romero : Comment est née l'idée du livre et quel est l'objectif de Veintidós vidas ?
- Cristian Sirouyan : Dès que j'ai eu connaissance des cas de jeunes descendants d'Arméniens, qui avaient été assassinés ou qui avaient disparu du fait de la Triple A2 ou de la dictature entre 1976 et 1983, le premier déclencheur du projet de livre a été ce constat qu'il s'agissait d'un thème tabou, totalement ignoré de la majorité de la communauté arménienne locale, et la nécessité d'être visibles et écoutés où se trouvaient leurs proches.
Le travail final vise à laisser un témoignage pour les nouvelles générations, non seulement d'Arméniens, puisque d'une certaine manière il s'agit d'un hommage, d'un point de vue non encore abordé, au 30 000 disparus. J'ai aussi cherché à opérer un parallèle entre les deux génocides (celui subi par les Arméniens en 1915 et celui de l'Argentine dans les années 1970), cette terrible et double tragédie qui a marqué à vie une vingtaine de familles arméniennes dans cette partie du monde.

-  Matías Romero :  En quoi ces récits de vie t'ont-ils impacté et qu'est-ce qui t'a le plus fait réagir ?
- Cristian Sirouyan : Toutes les histoires racontées ont un impact dévastateur, chacune avec ses particularités et ses similitudes, avec les réactions diverses des familles : colère contre cet être cher qui n'est plus ou contre les coupables, orgueil, désespoir, optimisme de façade concernant l'avenir, résignation face à la douleur et l'injustice, etc.
De tous, le cas qui sans conteste tranche avec le reste, sans rien ôter de dramatique à cette tragédie, est celui de Miguel Bezayan, 22 ans, dont on sait qu'il a disparu avant le coup d'Etat civil et militaire (1er janvier 1975) en raison de la répression d'Etat, enregistré par la CONADEP3 sous le numéro 5836. On ne sait rien de plus.
C'est l'un des 783 cas recensés par le Secrétariat aux Droits de l'Homme de la Nation, concernant les personnes sans aucun document retrouvé, ni signalement ou réclamation de la part des familles ou des proches, ni témoignages de gens les ayant connues.

- Matías Romero : Dans l'épilogue du livre, le docteur Khatchik Derghougassian déclare : "Dans le cas particulier des disparus arméniens, la question ne porte pas sur les disparus en tant que tels, mais bien plus sur le silence qui entoure ce sujet." Pourquoi, à votre avis, la communauté n'en a pratiquement pas parlé jusqu'à aujourd'hui ?
- Cristian Sirouyan : D'une part, le silence historique de la communauté peut avoir un lien direct avec les traumatismes et les peurs héritées des survivants du génocide de 1915. "Mieux vaut ne pas parler de ces choses terribles"était une phrase qu'on entendait très souvent dans les familles et les milieux communautaires. Ajoutons le fait que les préjugés prévalaient et que ces jeunes étaient montrés du doigt, genre "Ils l'ont bien cherché !"
Mais, en règle générale, l'indifférence ou le manque d'intérêt pour ce sujet reflète ce qui s'est passé dans une grande partie de la société argentine, bien au-delà des origines, de la religion ou de la couche sociale. De même, dès les premières ébauches de réparations à travers l'action de la justice à l'époque d'Alfonsín4 et notamment à partir de la politique "Mémoire, Vérité et Justice" impulsée par le gouvernement du docteur Kirchner5, le voile a été levé et beaucoup de progrès ont été faits. Au point que, y compris au sein de la communauté arménienne, le thème des disparus a cessé d'être un centre d'intérêt réservé à quelques-uns.
Peu à peu, les familles (les plus touchées par ces atrocités) se sentent protégées et réconfortées, du moins en partie.                        

NdT

1. ESMA : Escuela de Mecánica de la Armada, ancien centre de détention et de torture sous la dictature militaire argentine (1976-1983)
2. Triple A : Alianza Anticomunista Argentina [Alliance Anticommuniste Argentine], fondée par José López Rega en 1973, connu pour ses exactions dans le cadre des escadrons de la mort, qui firent plus de 1 500 victimes.
3. CONADEP : Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas [Commission Nationale sur la Disparition de Personnes], créée le 15 décembre 1983 et dissoute le 20 septembre 1984
4. Raúl Ricardo Alfonsín (1927-2009), avocat et homme d'Etat argentin, premier président élu démocratiquement après la dictature militaire, du 10 décembre 1983 au 8 juillet 1989.
5. Néstor Carlos Kirchner (1950-2010), homme d'Etat argentin, président de la Nation argentine du 25 mai 2003 au 10 décembre 2007.

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Traduction : © Georges Festa - 07.2017



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