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Aram Pachian : On the Body / Du corps

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© Antares, 2018


Aram Pachian

Du corps



Dans les sociétés patriarcales, le rôle possède un rôle et une signification particulière. Quand j'étais adolescent, les garçons de petite taille et chétifs avaient la vie dure. Comme si leur fragilité et leur faiblesse physique attirait la violence.

Au rand des attributs physiques d'un "vrai homme" figuraient un corps trapu, une large encolure, des bras et des jambes musclés, et une sorte de bedaine, difficile à décrire - en outre, un visage qui exprimait colère et agressivité.

En grandissant, la plupart des garçons tentent de forcer leur corps à répondre à ces normes. Pour beaucoup d'entre eux, il ne s'agit pas tant d'être un "vrai homme" que se faciliter la vie dans un monde brutal et violent qui essaie de leur imposer la "masculinité."

Longtemps je me suis représenté mon corps comme un ennemi, une menace, un piège fait de plaisir et de tragédie.

Mon père était chirurgien.

Le langage de la chirurgie est aussi celui du corps.

La chirurgie s'effectue via le corps et vise à le protéger, et c'est pourtant une sorte d'"acte criminel" visant à mettre au jour une réalité secrète. La chirurgie implique de franchir les limites du corps. Dans un sens, il y a là une révolte, une agression, une transgression au regard des limites sacrées du corps.

Les week-ends, mon père m'emmenait avec lui à l'hôpital. En allant d'un patient à l'autre, j'éprouvais un sentiment grandissant d'aliénation vis-à-vis de mon corps. Je me disais sans cesse : "Je n'ai pas envie d'avoir un corps. Rien de pire que d'avoir un corps."

Chose intéressante, je l'ai toujours pensé à la troisième personne. Lui, mon corps, c'était toujours quelqu'un d'autre.

Plus tard, dans ma vie, il est arrivé que ce sentiment d'aliénation soit essentiellement d'ordre physiologique, le résultat peut-être d'une activité complexe et paradoxale des neurones.

Ce sentiment de méfiance vis-à-vis de mon corps a atteint son paroxysme lors de mon service militaire. Les brimades à l'armée c'est de l'ordre du normal. Les règles et les traditions patriarcales imprègnent l'armée et chaque soldat se doit de les suivre. Rejeter ces traditions ou enfreindre des règles transmises de génération en génération signifie mettre en danger ton corps, ta santé et, en fin de compte, ta vie.

Dans l'armée, il y a ce qu'on appelle des "zones d'ombre," qui sont taboues. Dans ces zones d'ombre figurent les toilettes, les lavabos - ou encore des bosquets, des bancs, le coin d'un champ. Personne n'a le droit de s'asseoir ou de s'allonger dans ces zones. Si tu y fais tomber quoi que ce soit, pas le droit de ramasser. Si un soldat enfreint la règle interne, même accidentellement, et qu'il est découvert, le "délinquant" est isolé de son unité. Nul n'a le droit de le toucher. Il est déshonoré et son corps est profané. Pour les autres soldats, son corps devient lui aussi une "zone d'ombre."

Dans mon premier roman1, l'un des narrateurs qui brise ce tabou fortuitement le paie de sa vie. Et pourtant il est persuadé qu'il est toujours vivant, qu'il a terminé son service militaire et qu'il est rentré chez lui.

Ton corps est profané et détruit. Et alors ? Ça ne veut pas dire que tu n'as pas le droit de continuer à vivre. C'était l'idée centrale de mon roman.

Objectivement, impossible de continuer à vivre sans le corps. Grâce à la politique, grâce au droit, il est encore possible de réduire les abus au sein de l'armée, de la société. Mais la politique et le droit ne fonctionnent que dans le cadre du vivant - ils ne peuvent ranimer un corps mort.

Et pourtant j'ai trouvé le moyen de ranimer ce corps mort. Grâce à l'écriture.

Combien de fois j'ai entendu mon père s'exclamer : "La blessure cicatrise ! Le patient vivra !"

En écrivant mon roman, je ressentais la même chose. "Ce paragraphe s'améliore. J'arrive à entendre la voix du narrateur. Sa vie perdure."

Si ce dont je parle aujourd'hui semble un peu naïf, je n'en ai pas honte. La naïveté est souvent considérée comme un défaut, mais parfois ce genre de défauts rend fort.

Merci.              


NdT

1. Aram Pachian, Ցտեսություն, Ծիտ [Adieu, Oiseau !], Antares, 2012

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Traduction : © Georges Festa - 12.2018



Heghnar Zeitlian Watenpaugh - Survivor Objects: Cultural Heritage in and out of the Middle East / Objets survivants : le patrimoine culturel au Moyen-Orient et ailleurs

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Toros Roslin, Table des canons, Evangiles de Zeïtoun, 1256
Musée J. Paul Getty, Los Angeles (Cal.)
https://commons.wikimedia.org/wiki/


Objets survivants : le patrimoine culturel au Moyen-Orient et ailleurs
par Heghnar Zeitlian Watenpaugh

Massis Post, 10.11.2017


Les artéfacts qui ont connu des atrocités, jusqu'au génocide, et qui ont survécu, acquièrent le pouvoir de rappeler les horreurs du passé et de commémorer des êtres, des choses et des lieux absents qui ont été perdus. Ils symbolisent la violence, mais aussi la survie et la résilience. Les objets matériels qui ont subi pillage, mutilation, déplacement et arrachement aux communautés où ils jouaient le rôle de reliques sacrées, supports liturgiques ou d'œuvres d'art estimées, forment une catégorie à part. Ce sont des objets survivants.

La destruction intentionnelle du patrimoine culturel en temps de paix et de guerre, le pillage d'artéfacts et leur trafic par des réseaux criminels, de même que les polémiques sur la possession, la fonction et la signification de l'art, font la une de l'actualité au Moyen-Orient. Des musées occidentaux exposent et des maisons de vente aux enchères mettent en vente des objets qui ont été fouillés en toute illégalité ou extraits au mépris des lois de lieux de culte, et qui sont mis en circulation sur le marché de l'art du fait de la guerre, du colonialisme, de troubles sociaux, d'atrocités ou par pur désespoir. Profitant du chaos lié à l'invasion de Bagdad en avril 2003, des pillards ont saccagé le Musée National d'Irak et volé des milliers d'artéfacts, représentant plusieurs millénaires d'histoire de l'Irak ancien.1 L'Etat Islamique autoproclamé a fait de la destruction de l'art un spectacle de masse. Ses agents ont filmé la destruction de l'art au musée de Mossoul et le minage du temple de Bêl à Palmyre, puis monté le film sous la forme de vidéos très élaborées qu'ils diffusent grâce au réseau de propagande sophistiqué de l'Etat Islamique, et qui sont ensuite amplifiées via les réseaux sociaux afin de manipuler l'opinion publique et susciter indignation et effroi.2 Les nantis du monde entier recourent à d'opaques acrobaties financières, poussant compagnies offshore et sociétés écrans à organiser un négoce de l'art semi-légal ou illégal qui échappe à tout contrôle et complique les demandes de restitution, comme l'ont récemment révélé les Panama Papers.3

Ces attaques contre le patrimoine culturel ont provoqué indignation et réactions de la part d'agences gouvernementales, d'organismes internationaux et d'experts.4Les réactions les plus importantes et les plus vives ont émané du terrain, des "défenseurs du patrimoine culturel," des professionnels du patrimoine, de militants improvisés et de gens ordinaires qui se sont mobilisés et qui ont pris des risques pour protéger le patrimoine culturel.5En janvier 2011, des manifestants sur la place Tahrir ont formé une chaîne humaine pour empêcher des pillards d'attaquer le Musée National Egyptien tout proche, qui abrite des artéfacts emblématiques comme le masque de Toutânkhamon. En Syrie, archéologues et simples particuliers continuent de prendre d'énormes risques pour protéger le patrimoine culturel et rendre compte des dégâts, utilisant parfois leurs téléphones portables de fortune pour prendre clandestinement des photos.

Même si les actes récents de destruction et de pillage culturel ont eu un retentissement mondial, des pratiques similaires n'ont cessé de hanter l'histoire du Moyen-Orient. Dans le passé, elles sont allées de pair avec les usages du colonialisme, de la création d'empires et du nationalisme.6Elles ont aussi accompagné l'extermination en masse de populations civiles par leurs propres Etats - épuration ethnique, massacre et génocide. Ces événements continuent d'assombrir non seulement le Moyen-Orient, mais au-delà, au sein des diasporas où les enfants de migrants et de réfugiés cherchent à reconstituer leurs communautés. Les répercussions des attaques contre le patrimoine culturel perdurent dans les luttes pour la restitution, le rapatriement et la réunification d'objets d'art ou sacrés à leurs communautés ou pays d'origine. Non seulement nous devons composer avec les implications immédiates de la destruction du patrimoine dont nous sommes témoins à notre époque, mais nous devons aussi nous atteler aux conséquences à long terme de la destruction de la culture et à ses multiples séquelles. Il nous faut en outre comprendre en quoi l'expérience du pillage ou de la destruction façonne l'objet en tant que tel, et son rôle dans l'univers social.

Les récits de destruction d'œuvres d'art ou de restitution de patrimoine culturel mettent souvent l'accent sur de zélés briseurs d'images, d'opportunistes pilleurs, d'audacieux voleurs, d'avisés comptables, de courageux archéologues, de dévoués journalistes, d'intègres policiers, de tenaces bibliothécaires, d'imperturbables historiens d'art, d'avides collectionneurs, de consciencieux conservateurs, de peu scrupuleux oligarques et d'héroïques avocats. Récits qui soulèvent des questions comme : qui possède ou devrait posséder des antiquités ? Quand l'art est-il pris illégalement et quand doit-il être restitué ? Comment les musées devraient-ils constituer leurs collections de manière éthique ? Comment servir au mieux l'intérêt public sans enfreindre les droits ?  

Autant de questions qui méritent des réponses. Or elles passent sous silence une grande part de l'histoire de l'objet. Une œuvre d'art précieuse, la représentation d'une divinité ou un livre sacré constituent une entité matérielle projetée au sein d'un réseau de rapports sociaux. Quand des gens pillent un objet, le cassent ou le déracinent, ces événements affectent la façon d'exister d'un objet dans l'univers social, ainsi que la signification qu'il acquiert dans les esprits et les cœurs de ceux qui le découvrent, le contemplent ou le vénèrent.7

Les vicissitudes des reliques sacrées et des objets convoités, leurs odyssées périlleuses à travers le temps et l'espace, reflètent celles des survivants et des réfugiés, s'efforçant de refaire leur vie et de bâtir un avenir neuf. Etudiée de près, l'histoire d'un objet de trafic, et de son peuple, en dit long sur la nature de la survie et le caractère central de l'art et du patrimoine culturel à son égard. Ils nous donnent à voir le vécu de l'art, que les concepts et traités juridiques sur le droit humain à la culture tentent d'inscrire dans le droit.

Les Tables des canons, en huit folios, qui ornaient autrefois la première section des Evangiles de Zeïtoun, en témoignent. Les Tables des canons sont un objet religieux médiéval dont les péripéties au cours du siècle dernier éclairent la dimension culturelle du génocide.8 Ce rare vestige du monde disparu des Arméniens ottomans recoupe aussi l'une des questions clé de l'histoire de l'art au 21ème siècle : la lutte entre communautés ethniques ou religieuses et institutions puissantes pour le contrôle du patrimoine culturel.

Toros Roslin copia et enlumina les Evangiles en 1256 pour le catholicos Constantin Ier, chef de l'Eglise arménienne à Hromgla (Rumkale en Turquie actuelle). Le manuscrit fut emmené à Zeïtoun, une ville escarpée située dans les Monts Taurus (Süleymanlı en Turquie actuelle), à laquelle il doit son nom. A Zeïtoun, les Evangiles de Roslin étaient conservés dans une église en tant que relique vénérée et objet liturgique. Mais le manuscrit avait également sa fonction propre, protégeant la ville et sa population, et accomplissant des miracles parmi les fidèles. Au fil des siècles jusqu'au printemps 1915. Alors que la Première Guerre mondiale submergeait le monde, l'empire ottoman lança l'exil et l'extermination de sa population arménienne, qualifiés aujourd'hui de génocide arménien. Lorsque les habitants de Zeïtoun furent chassés de leurs foyers et condamnés à un exil où la plupart d'entre eux trouvèrent la mort, les Evangiles de Zeïtoun furent eux aussi retirés de leur église, passant de main en main et divisés en deux. Des dizaines d'années plus tard, le manuscrit se retrouva à l'Institut Machtots de recherches sur les manuscrits anciens (appelé Matenadaran) en république d'Arménie. Manquaient toutefois les Tables des canons. Ces pages manquantes, extraites du manuscrit premier, avaient cheminé séparément en direction des Etats-Unis. Le musée Getty en fit l'acquisition en 1994. A l'époque, les historiens de l'art considéraient Toros Roslin comme l'un des plus grands artistes de l'art arménien au Moyen Age.9 La relique de Zeïtoun était devenue une œuvre d'art d'une valeur inestimable.

En 2010, la Prélature Occidentale de l'Eglise apostolique arménienne d'Amérique porta plainte auprès de la Cour Supérieure du comté de Los Angeles contre le musée J. Paul Getty en demandant la restitution des Tables des canons, affirmant que ces pages sacrées avaient été volées.10 La plainte déclarait que les pages avaient été extraites de leur manuscrit premier, les Evangiles de Zeïtoun, suite au génocide arménien. L'Eglise faisait valoir que les pages avaient été dérobées et que le musée Getty savait ou aurait dû savoir qu'il faisait l'acquisition de biens volés. Le conseiller juridique du musée soutenait que le musée Getty détenait ces pages en tant qu'œuvres d'art, les ayant acquises légalement, que les Tables des canons se trouvaient aux Etats-Unis depuis plus de quatre-vingt-dix ans sans que personne ne conteste leur statut juridique, et que la plainte devait être rejetée car non fondée.

Après cinq années de contentieux et de médiation, la Prélature Occidentale et le musée Getty parvinrent à un accord. Le musée Getty reconnaissait la "propriété historique" de l'Eglise sur les Tables des canons. En échange, l'Eglise reconnaissait la gestion à long terme des Tables des canons par le musée et acceptait de lui faire don de ces pages "afin de garantir leur conservation et les exposer au grand public."11 Aux yeux des professionnels de l'art, cet accord constituait un exemple réussi où une négociation approfondie dans le cadre d'un litige ayant trait à l'art et d'une demande de restitution aboutit à un accord. Dans notre paysage culturel, ce genre de litiges est devenu courant et a contribué à changer les méthodes d'acquisition des musées. Dans ce type de contexte, l'accord sur les Tables des canons crée assurément un précédent ou un modèle pour d'autres litiges similaires. Cet accord a réglé des questions liées au passé, sans pour autant aboutir à un retour au passé. Les Tables des canons ne réintègreront pas le manuscrit premier. Au contraire, cet accord est tourné vers l'avenir. Le musée Getty s'est engagé dans une collaboration accrue avec la communauté arménienne de Los Angeles et dans le monde.

Que laissent présager ce procès et son règlement pour les objets survivants ? Durant le génocide arménien et ensuite, lorsqu'ils furent coupés en deux, les Evangiles de Zeïtoun ont croisé l'existence de gens qui les ont vénérés, convoités, conservés, sauvegardés, commémorés et décrits. A l'instar d'autres objets survivants, ce manuscrit sacré a joué un rôle de médiation dans la façon avec laquelle les gens ont perçu leurs identités ou les ont reconstruites au lendemain de la guerre, des massacres et de l'exil. Un homme qui survécut de justesse au massacre de sa communauté et à l'incendie de son quartier assimile ainsi son vécu avec celui du livre saint : "Les Evangiles [de Zeïtoun] [...] devinrent le témoin de ce terrible massacre."12 Un religieux décrit les survivants et les orphelins décharnés du génocide arménien dans les bidonvilles en dehors d'Alep dans les mêmes termes qu'il emploie pour les manuscrits religieux mutilés qu'il tente de sauver : "Autant d'ouvrages qui, comme notre nation arménienne, ont été sans relâche persécutés, taillés en pièces, profanés."13 Un autre religieux relate néanmoins son désarroi en voyant un livre saint qu'il avait consulté dans le trésor d'une église juste avant la Première Guerre mondiale apparaître soudainement sur le marché de l'art à New York : "Ce manuscrit est maintenant arrivé en Amérique en tant que bien d'une personne privée [...] Il a été amené ici pour être vendu."14

L'expérience du traumatisme n'a pas seulement modifié l'objet en tant que tel dans sa matérialité - le découpant en deux, le fragment et le manuscrit premier. Cette expérience a aussi modifié la fonction et la signification de l'objet à travers le monde. Les Evangiles de Zeïtoun, de même que leurs Tables des canons, sont ainsi passés de relique sacrée et d'objet liturgique d'une ville isolée au statut d'œuvres d'art exposées au public dans des musées, leur image étant reproduite indéfiniment grâce à la technologie numérique.

Pour chaque Table des canons qui survit et ressuscite dans un nouvel environnement, des milliers d'œuvres d'art et d'objets sacrés sont détruits ou perdus. Tandis que la destruction, le pillage et le trafic de l'art perdure, il est triste de rappeler que pour la plupart des attaques visant la culture, il n'y aura ni estimation, ni restitution. En dépit de tous les efforts des défenseurs du patrimoine culturel, des intentions louables de l'application du droit, et de l'ingéniosité des juristes, les choses ne recouvreront pas leur intégrité première. Les objets survivants témoignent d'un lien fort avec le passé. Leur présence matérielle a le pouvoir de rappeler et de connecter l'observateur à des objets et des lieux qui ne sont plus. Les objets survivants illustrent la nature changeante, dynamique du patrimoine culturel. Même des objets qui portent les cicatrices de la violence perpétrée à leur encontre - qui sont fragmentaires, mutilés, délabrés, ou même illisibles - symbolisent une résilience, et ils vont de l'avant. Les observateurs à venir liront en eux ce qu'ils voudront.                                        

Notes

1. Beaucoup de ces objets ont été récupérés ensuite. Matthew Bogdanos, "The Casualties of War: The Truth about the Iraq Museum,"American Journal of Archaeology 109 (2005), p. 477-526.

2. Les exactions de l'Etat Islamique à Palmyre ont eu lieu en 2015. Heghnar Watenpaugh, "Cultural Heritage and the Arab Spring: War over Culture, Culture of War, and Culture War,"International Journal of Islamic Architecture 5 (2016), p. 245-23, avec d'autres références.

3. Scott Reyburn, "What the Panama Papers Reveal about the Art Market,"The New York Times, 11 avril 2016, consulté le 6 juin 2017, https://nyti.ms/1Wo6d6L.

4. Le rapport 2016 de la Rapporteuse Spéciale dans le domaine des droits culturels, Karima Bennoune, met l'accent sur le cadre juridique international concernant la destruction intentionnelle de la culture : UN Human Rights Council, "Report of the Special Rapporteur in the Field of Cultural Rights," 3 February 2016, A/HRC/31/59, consulté le 8 juin 2017, https://www.refworld.org/docid/56f174dd4.html

5. Karima Bennoune souligne la détresse des défenseurs du patrimoine culturel qui ont été ciblés, et soutient que "les défenseurs du patrimoine culturel devraient être reconnus en tant que défenseurs des droits culturels, donc en tant que défenseurs des droits humains, et qu'ils devraient bénéficier des droits et des protections liés à ce statut."Ibid., p. 17, section75.

6. Zainab Bahrani, Zeynep Çelik, and Edhem Eldem, éd., Scramble for the Past: A Story of Archaeology in the Ottoman Empire, 1753-1914 (Istanbul : SALT, 2011).

7. Je renvoie ici à l'intérêt actuel des historiens d'art pour la matérialité de l'objet, qualifié de virage "pictural" ou "iconique." Voir, entre autres, Keith Moxey, "Visual Studies and the Iconic Turn,"Journal of Visual Culture 7 (2008), p. 131-46; W. J. T. Mitchell, What Do Pictures Want ? The Lives and Loves of Images (Chicago : University of Chicago Press, 2005); et Robin Osborne et Jeremy Tanner, éd., Art's Agency and Art History (Malden, Mass. : Wiley-Blackwell, 2007).

8. Heghnar Zeitlian Watenpaugh, The Missing Pages: Art, Heritage and the Armenian Genocide (Stanford, Calif. : Stanford University Press, à paraître).

9. Voir, entre autres, Sirarpie Der Nersessian, Miniature Painting in the Armenian Kingdom of Cilicia from the Twelfth to the Fourteenth Century, éd. Sylvia Agemian (Washington, D.C. : Dumbarton Oaks Research' Library and Collection, 1993), 1, p. 51-76; Helen C. Evans, "Armenian Art Looks West: Toros Roslin's Zeytun Gospels," in Treasures in Heaven: Armenian Art, Religion, and Society, éd. Thomas F. Matthews et Roger S. Wieck (New York : Pierpont Morgan Library, 1998), p. 103-14.  

10. Western Prelacy of the Armenian Apostolic Church of America v. The Paul Getty Museum, No. BC 438824 (Cal. Super. Ct. 2011).  

11. J. Paul Getty Museum and the Western Prelacy of the Armenian Apostolic Church of America (21 September 2015), J. Paul Getty Museum and the Western Prelacy of the Armenian Apostolic Church of America Announce Agreement in Armenian Art Restitution Case [communiqué de presse].  

12. Haroutioun Der Ghazarian décrit la nuit du 10 février 1920, appelée ensuite "la Bataille de Marash," dans sa "Lettre à Monseigneur A. Siourméian, 1er août 1936," in Artavazd Soourméian, Maïr Tsoutsak hayeren tséragrats S. Karasoun Mankounk ékéghetsvoy Halépi, vol. 2, Maïr Tsoutsak hayeren tséragrats Halépi yev Antiliasi ou masnaourats (Alep : Tparan A. Der-Sahakian, 1936), p. 137.

13. La citation est extraite d'un colophon, daté du 28 février 1923, que l'évêque d'alors, Babken Kioulésérian (1868-1936) ajouta à un manuscrit médiéval dans l'église des Quarante-Martyrs d'Alep. Publié in Artavazd Siourméian, Nkaraguir Ochin tagavori dzeraguir Chamaguerkin, 1319 (Antélias : Tparan Tprevanouts katoghikosoutian Kilikioy, 1933), p. 102.

14. Garegin Hovsepian, Niouter yev ousoumnasiroutiouner hay arouesti yev mchakoyti patmoutioun, vol. 2 (New York : n.p., 1943), i.


[Heghnar Zeitlian Watenpaugh est professeure associée au département d'Art et d'Histoire de l'art à l'université de Californie, Davis. Courriel : hwatenpaugh@ucdavis.edu].

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Lerna Ekmekçioğlu - Recovering Armenia : The Limits of Belonging in Post-Genocide Turkey [L'Arménie retrouvée : les limites de l'appartenance dans la Turquie de l'après-génocide]

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Lerna Ekmekçioğlu
Recovering Armenia : The Limits of Belonging in Post-Genocide Turkey
[L'Arménie retrouvée : les limites de l'appartenance dans la Turquie de l'après-génocide]
Stanford University Press, 2016, 222 p.

Armenian Voice (Londres), Autumn 2017, No. 70


Recovering Armenia propose la première étude en profondeur sur les conséquences du génocide arménien de 1915 et les Arméniens qui sont restés en Turquie. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que les puissances alliées victorieuses occupaient les territoires ottomans, les Arméniens survivants regagnèrent leurs villes d'origine, espérant pouvoir créer une Arménie indépendante. Mais la résistance turque l'emporta et en 1923 les Alliés se retirèrent, la république de Turquie fut instaurée et les Arméniens à nouveau réduits à rebâtir leurs communautés au sein d'un pays qui les considérait toujours comme des traîtres.

Lerna Ekmekçioğlu étudie comment les Arméniens retrouvèrent leur identité dans ce bouleversement politique. Analysant les textes et l'iconographie arménienne produits à Istanbul de la fin de la Première Guerre mondiale au début des années 1930, Ekmekçioğlu donne la parole à des personnalités marquantes de la communauté, notamment Haïganouche Mark, militante reconnue, féministe et éditrice de l'influent Hay Guin [La Femme arménienne]. Ces personnalités articulaient une arménité s'appuyant sur les différences de genre, alors que les femmes jouèrent progressivement un rôle essentiel, préservant les traditions, la mémoire et la langue maternelle au sein du foyer. Or, même si les femmes étaient honorées pour leurs fonctions traditionnelles, un puissant mouvement féministe trouva l'occasion d'influer sur la communauté.

Au final, l'ouvrage explore ce paradoxe : comment être Arménienne et féministe dans la Turquie de l'après-génocide alors que, via ses lois et règlements, le moyen clé pour les Arméniens de préserver leur identité passait par des rôles traditionnels assignés au genre.        

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Soukias Soukoyan : Memorias de un sobreviviente del Genocidio Armenio [Mémoires d'un survivant du génocide arménien]

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Soukias Soukoyan
Memorias de un sobreviviente del Genocidio Armenio
13 Mil Pajaros Ediciones, 2018

par Facundo Sinatra
Infobae (Buenos Aires), 24.04.2018


[Ce livre est né il y a un siècle, quand Soukias Soukoyan, survivant du génocide arménien, entama un grand voyage qui le conduisit jusqu'en Argentine. Dissimulé durant des années au sein de la famille, ce journal autobiographique se propose de livrer à la mémoire collective un témoignage historique sur ceux qui durent abandonner leur terre, sans jamais perdre en eux l'amour de la vie.]

"Ton grand-père adorait écrire, viens !" me dit un jour ma mère, alors que nous montions les escaliers conduisant à sa chambre. Elle se référait à mon grand-père, Soukias, un survivant du génocide arménien qui avait émigré en Argentine et qui était mort, alors que j'avais à peine deux ans. "Ils sont là," murmura ma mère en me montrant sept cahiers manuscrits en arménien, calligraphiés par grand-père.

Elle en prit un en particulier. En l'ouvrant, je me suis demandé pourquoi il avait fallu tant d'années pour recevoir ce trésor d'intérêt non seulement familial, mais historique : je tenais dans mes mains les mémoires de mon grand-père, qui commençaient en 1914. Pour être précis, un an avant le début des tueries de masse contre le peuple arménien.

Soukias Soukoyan était né en 1906 à Van, une ville de l'Arménie historique, actuellement territoire turc. Avant de s'installer à Buenos Aires en 1944, il dut passer par Tiflis, Bakou, Istanbul, Marseille et Montevideo. Il vécut en Argentine durant quarante ans et décéda en 1984. Je suis né en 1982, je n'ai donc pratiquement eu aucun rapport avec lui. Je n'ai pas de souvenirs directs de son visage et il n'existe même pas de photo où nous soyons ensemble. Voilà pourquoi la découverte de ses mémoires, de ce journal personnel, me donnait un moyen de répondre aux nombreuses questions que je me posais sur cette branche de ma famille.

Le nom de mon père est Sinatra et ce marqueur fort d'identité a masqué durant des années mon côté arménien. Pourtant, j'ai encore des souvenirs d'enfance où des mots résonnent dans une langue que je ne comprenais pas. Non seulement des mots prononcés par des proches de ma mère, mais aussi des mots que je répétais. On me dit que j'avais une bonne prononciation pour les vers en arménien, alors que je ne comprenais rien à ce que je disais. Je me rappelle aussi des silences de ma grand-mère Anahid, l'épouse de Soukias, elle aussi survivante du génocide. Quand elle priait dans cette langue indéchiffrable, je me demandais ce qui lui arrivait.

Mais ce n'est qu'à partir de l'adolescence, cette étape propice pour questionner l'origine de toute chose, que j'ai commencé à me renseigner sur mes origines arméniennes. Dès lors, combien de fois ai-je interrogé ma mère et tous mes proches aux patronymes se terminant en "ian" ! Les questions fusaient : qu'est-il arrivé aux grands-parents ? où sont-ils nés ? pourquoi sont-ils venus en Argentine ? c'est quoi l'Arménie ? c'est où ? on est Arméniens ? 

Les réponses suscitaient de nouvelles questions et redoublaient mon envie de démêler cet écheveau d'événements traumatisants dans l'histoire de ma famille. Une famille qui avait été victime d'un génocide qui la traversait à chaque génération, de façon presque imperceptible.

Quand je me suis retrouvé avec les mémoires de mon grand-père dans les mains, la mission m'est apparue incontournable : ces textes avaient attendu trente ans pour être publiés. La profusion, l'énumération des faits dans ces pages et l'ordre méticuleux dans lequel ils se déployaient dans le carnet le rendaient tout à fait clair. Mais j'avais un problème : tout était écrit dans une langue et un alphabet inconnus pour moi. Je me suis demandé alors si son contenu était intéressant, comment le traduire, si faire un livre avait un sens, qui pourrait m'aider.

Le premier signe vint de la main d'un membre de la communauté arménienne, une femme solidaire qui proposa de traduire les textes de mon grand-père à titre bénévole, sans demander de reconnaissance; avec pour seul objectif d'apporter un témoignage de plus sur le génocide perpétré contre le peuple arménien.

C'est ainsi qu'après une étude minutieuse, elle commença à m'envoyer par courrier électronique cinq ou six pages traduites. Je me rappelle encore l'émotion que j'ai ressentie à la réception de son premier envoi. Le texte était là et racontait la fuite de Soukias de sa ville natale, Van. Les circonstances dans lesquelles il abandonna sa terre pillée et détruite, à huit ans, avec une sœur de six ans et une mère sur le point de mourir. Il parlait de l'automne 1914 et je lisais ça au printemps 2014. Cent ans après exactement, nous retrouvions grand-père grâce à un lien qui résultait bien plus que d'une simple coïncidence.

Les livraisons des traductions pouvaient mettre entre quinze jours et un mois. Entretemps, je trépignais d'impatience. Le processus entre ma rencontre avec les originaux et le moment où nous avons jugé cette mission accomplie a duré quatre ans. Le résultat de ce travail est un récit simple et en même temps merveilleux. Celui qui l'a écrit était un homme travailleur, chassé de sa patrie, qui dut parcourir la moitié de la planète et qui se retrouva à laver des tapis dans un petit atelier de Villa Soldati1, vivant à Pompeya2avec son épouse Anahid et leurs trois filles Aroussiak, Asdguik et Gloria.

Les lecteurs contemporains de ces Mémoires d'un survivant du génocide arménien découvriront les mots d'un homme empreint de fierté et de nostalgie pour la terre qui l'a vu naître. Entre anecdotes personnelles et tableaux des traditions familiales, le lecteur partagera les stratégies des migrants arméniens pour survivre à la misère, les liens qui surgirent au sein et en dehors de la communauté pour résister à l'exil forcé...

Que le récit se déroule en Géorgie, en Turquie, dans le sud de la France ou dans le Río de la Plata, l'exil de Soukias montre le dénuement et les mauvais traitements infligés à l'immigrant, l'indifférence des puissances mondiales à l'égard des peuples opprimés, et aussi la solidarité de tant d'autres. L'histoire de Soukias et sa vie ne sont pas roses, mais ses mots, loin de se complaire à narrer souffrance et misère, tentent d'être fidèles aux faits et, par leur simplicité, se font éloquents.

Memorias de un sobreviviente del Genocidio armenio a pour ambition de livrer à la mémoire collective un témoignage, celui de tant d'autres qui n'ont pu raconter leur vie en raison des souffrances que cela entraînait en eux ou qui, s'ils l'ont racontée, n'ont pu l'écrire. Dans cette histoire de mon grand-père, nous tous et toutes qui avons plus ou moins un passé d'immigration obligée, nous pourrons nous identifier, car malheureusement les génocides perpétrés contre les populations ne sont pas la propriété exclusive des Arméniens.

En cette 103ème commémoration du génocide contre les Arméniens, ces mémoires de mon grand-père invitent à ne pas oublier, à nous savoir présents dans la souffrance et avec elle, mais munis de l'enseignement de tous ceux qui, comme Soukias, abandonnèrent leur terre sans jamais perdre en eux l'amour de la vie. C'est grâce à eux que nous sommes là.                
   
NdT

1. Villa Soldati : quartier au sud de Buenos Aires.
2. Pompeya : Nueva Pompeya, quartier voisin de Villa Soldati.

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


George N. Shirinian, éd. - Genocide in the Ottoman Empire: Armenians, Assyrians, and Greeks, 1913-1923

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Genocide in the Ottoman Empire: Armenians, Assyrians, and Greeks, 1913-1923
Edited by George N. Shirinian
Oxford - New York : Berghahn Books, 2017, 444 p.

Armenian Voice (Londres), Autumn 2017, No. 70


Les ultimes années de l'empire ottoman furent catastrophiques pour ses minorités non-turques et non-musulmanes. De 1913 à 1923, ses dirigeants ont déporté, massacré ou persécuté de multiples manières un nombre ahurissant de citoyens lors d'une tentative de réserver "la Turquie aux Turcs," créant un précédent moderne quant à la perpétration d'un génocide par un régime à des fins politiques, tout en se soustrayant largement à ses responsabilités.

Si cette tragédie est surtout connue pour ce qui concerne le génocide arménien, peu de gens savent combien les sujets assyriens et grecs de l'empire ont souffert et trouvé la mort en raison de cette même politique. Cet ouvrage exhaustif est le premier à étudier globalement les génocides des Arméniens, des Assyriens et des Grecs de façon comparative, analysant les similitudes et les différences entre eux et proposant un cadre fondamental aux demandes contemporaines de reconnaissance.    

[George N. Shirinian est directeur exécutif de l'Institut International d'Etudes sur le Génocide et les Droits humains, une division de l'Institut Zoryan. Il a notamment publié Studies in Comparative Genocide (Palgrave Macmillan, 1999) et The Asia Minor Catastrophe and the Ottoman Greek Genocide: Essays on Asia Minor, Pontos, and Eastern Thrace, 1913-1923 (Asia Minor and Pontos Hellenic Research Center, Inc., 2012).]

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Conférence du professeur Hannibal Travis sur les génocides assyrien, arménien, grec et yézidi / Professor Hannibal Travis Speaks on the Assyrian, Armenian, Greek and Yezidi Genocides (Watertown Public Library, Watertown, MA - 27.10.2018)

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 © Routledge, 2017

Conférence du professeur Hannibal Travis sur les génocides assyrien, arménien, grec et yézidi
(Watertown Public Library, Watertown, MA - 27.10.2018)

par David Boyajian
Massis Post, 31.10.2018


Les Assyriens et les Arméniens ont coexisté durant des milliers d'années et ont partagé  les mêmes vicissitudes. De sorte qu'en tant qu'Arméno-américain parmi une assistance de quelque seize Assyro-américains, je savais que j'étais avec des compatriotes.
L'occasion était une conférence donnée par le professeur Hannibal Travis, intitulée "Le calvaire des réfugiés et le droit du génocide : Assyriens, Arméniens, Grecs et Yézidis," par un pluvieux et venteux samedi après-midi, le 27 octobre 2018, à la Watertown Public Library de Watertown, Mass. La manifestation était parrainée par l'Assyrian American Association du Massachusetts (AAAM).
Le thème central de cette conférence était les génocides à l'époque de la Première Guerre mondiale - ainsi que les massacres antérieurs - des Assyriens, Arméniens et Grecs chrétiens, ainsi que des Yézidis, perpétrés par la Turquie ottomane et ses alliés kurdes. Le professeur Davis évoqua aussi la victimisation actuelle des Assyriens, des Arméniens et des Yézidis par les djihadistes islamistes et autres mouvances dans les conflits actuels en Irak et en Syrie.

Le génocide assyrien

Les invasions turco-mongoles de Tamerlan au 14ème siècle, rappela H. Travis, contraignirent de nombreux Assyriens vivant dans les montagnes au nord de la Mésopotamie (sud-est de la Turquie actuelle) à quitter les villes pour les plaines méridionales.
En 1843, à Hakkari (sud-est de la Turquie actuelle), quelque 10 000 Assyriens furent massacrés et vendus comme esclaves par les tribus kurdes et les forces ottomanes.
Les "massacres hamidiens," du nom du sultan ottoman Abdülhamid II, au milieu des années 1890, sont réputés n'avoir fait que des victimes arméniennes. Or 25 000 Assyriens environ ont eux aussi péri durant ces massacres.
Lors de la Première Guerre mondiale, l'on estime que 250 000 Assyriens furent tués par la Turquie ottomane et des milices kurdes lors du génocide assyrien ou "Seyfo," qui signifie "épée" dans la langue assyrienne. Durant la même période, les forces d'invasion ottomanes massacrèrent aussi de nombreux Assyriens au nord-ouest de la Perse (Iran actuel).
En 1915, expliqua Travis, les Assyriens tinrent des poches de résistance, comme à Aïn-Wardo (sud-est de la Turquie actuelle), contre les troupes turques et les bandits kurdes - similaires aux positions de défense arméniennes de Van et Musa Dagh à la même époque.
Actuellement, 2 500 Assyriens environ considèrent l'Arménie comme leur patrie.

Le génocide yézidi

Les Yézidis ou Yazidis) furent eux aussi emportés lors des génocides qui ont submergé les chrétiens de l'empire turc au 20ème siècle.
En Irak et dans la Syrie actuels, les Yézidis se retrouvent souvent assiégés par les djihadistes de l'Etat Islamique.
La majorité des Yézidis se considère comme un groupe ethnico-religieux distinct. Ils parlent souvent la langue indo-européenne appelée le kurmandji, un dialecte kurde. Leur unique religion, le yézidisme, combine certains aspects d'autres grandes religions monothéistes.
De nos jours, les Yézidis vivent principalement en Irak et en Syrie, tandis que 30 000 environ résident en Arménie.

Hannibal Travis

Hannibal Travis est professeur associé de droit à l'université internationale de Floride à Miami. Diplômé magna cum laude de la Harvard Law School en 1999, il est l'auteur de nombreux articles sur le génocide et le droit international, ainsi que sur l'internet, les affaires, le droit d'auteur et la législation antitrust.
Il est l'éditeur de l'ouvrage The Assyrian Genocide: Cultural and Political Legacies, paru récemment (Routledge, 2017).
Sa famille maternelle est originaire des régions anciennement assyriennes de Hakkari (Turquie) et Ourmia (Iran).
Le prénom Hannibal, précise-t-il, est d'origine sémitique et attesté dans l'histoire des Phéniciens et des Carthaginois. Il signifie "la Grâce de Baal," Baal étant habituellement traduit par "le Seigneur."
Travis est déjà intervenu lors de manifestations parrainées par des organisations arméniennes telles que l'UGAB, l'Armenian Assembly of America, la Centennial Project Foundation et l'Institute of Armenian Studies de l'USC [University of South California].

Amis assyriens

Lors de cette manifestation, je me suis entretenu avec Ninos Hanna et le professeur Sargon George Donabed.
N. Hanna est président de l'AAAM [Assyrian American Association of Massachusetts] et spécialiste en communication et marketing. Sa famille maternelle est originaire de la province de Kharpert (Arménie Occidentale / Turquie), important pôle arménien avant le génocide de 1915. Sa famille paternelle est originaire de Diyarbakır et Mardin, au sud-est de la Turquie actuelle.
Sargon Donabed est professeur associé d'histoire à l'université Roger Williams de Rhode Island. Il est l'auteur de Reforging a Forgotten History: Iraq and the Assyrians in the Twentieth Century (Edinburgh University Press, 2015) et de The Assyrians of Eastern Massachusetts (Arcadia Publishing, 2006). Sa famille paternelle est originaire de Kharpert.
Je leur ai proposé d'aider à informer la communauté arménienne des manifestations et actualités assyriennes.
Espérons que cela soit le début d'une plus grande coopération entre les deux communautés.           

[David Boyajian est journaliste indépendant. Plusieurs de ses articles sont archivés sur http://www.armeniapedia.org/wiki/David_Boyajian.]
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Traduction : © Georges Festa - 01.2019



Avedis Hadjian - The Secret Nation: The Hidden Armenians of Turkey [Les Invisibles : les Arméniens cachés de Turquie]

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Avédis Hadjian
The Secret Nation: The Hidden Armenians of Turkey
I.B. Tauris, 2018, 624 p.

Armenian Voice ( Londres), Spring 2018, No. 71


On a longtemps cru qu'il ne restait plus rien de la présence arménienne à l'est de la Turquie, suite aux massacres de 1915. Conséquence de ce qu'on a fini par appeler le génocide arménien, ceux qui ont survécu en Anatolie avaient été assimilés en tant que musulmans, la plupart perdant toute trace de leur identité chrétienne.
En réalité, certains de ces survivants sont parvenus, ainsi que leurs enfants, au cours du siècle dernier, à dissimuler leurs origines. Beaucoup étaient des orphelins adoptés par des Turcs, ne découvrant leur "véritable" identité que tardivement à l'âge adulte. En apparence, ils sont Turcs ou Kurdes et, si certains sont musulmans pratiquants, d'autres continuent de cultiver des traditions chrétiennes et arméniennes à huis clos.
Ces dernières années, un nombre croissant d'"Arméniens cachés" ont commencé à sortir de l'ombre. Encouragés par les prises de parole audacieuses de journalistes comme Hrant Dink, l'éditeur d'un journal arménien assassiné à Istanbul en 2007, l'attrait pour la liberté d'expression et la recherche d'identité s'est emparé de la région.
Avédis Hadjian s'est rendu dans les villes et les villages qui comptaient autrefois de nombreux Arméniens, recueillant des récits de survie et de découverte auprès de ceux qui subsistent dans une région réputée dangereuse pour ceux qui y vivaient jadis. Cet ouvrage conduit pour la première fois le lecteur au cœur de ces communautés cachées, exhumant leur patrimoine et leur identité singulière.
Dévoilant l'existence de gens pris au piège d'une histoire faite de déni depuis plus d'un siècle, Secret Nation constitue une lecture essentielle pour tous ceux qui s'intéressent aux conséquences du génocide arménien sur les lieux mêmes où les événements ont eu lieu.       

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Lacérer et brûler : Sylvie L. Merian explique comment deux manuscrits ont survécu aux massacres hamidiens / Slash and Burn: Merian Explains How Two Manuscripts Survived the Hamidian Massacres

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 © http://houghton75.org/


Lacérer et brûler : Sylvie L. Merian explique comment deux manuscrits ont survécu aux massacres hamidiens
par Aram Arkun


MEDFORD, Mass. - Le 18 avril [2018], en soirée, la Chaire Darakdjian-Djafarian d'Histoire arménienne, le Département d'Histoire, l'Armenian Club et le doyen de l'université Tutfs, conjointement avec la National Association for Armenian Studies and Research (NAASR), ont parrainé une commémoration du génocide arménien à la Chapelle Goddard de cette même université, durant laquelle le Dr. Sylvie L. Merian a prononcé une conférence illustrée, au titre des plus suggestif : "Lacérer et brûler : comment deux manuscrits ont survécu à un passé violent."

La professeure Ina Baghdiantz McCabe, titulaire de la Chaire Darakdjian-Djafarian, remercia les mécènes, dont Joyce Barsam1, et dédia la manifestation à l'arrière-grand-père du Dr. Merian, Hagop Babiguian, avocat et membre du parlement ottoman. Envoyé en Cilicie pour enquêter sur les massacres d'Arméniens en 1909, Babiguian rédigea un rapport, mais mourut mystérieusement avant d'avoir pu le présenter. On soupçonna un crime.

I. Baghdiantz McCabe présenta l'intervenante, docteure en études arméniennes du Département des Langues et cultures du Moyen-Orient de l'université Columbia, où elles furent toutes deux étudiantes de la professeure Nina Garsoïan. Merian a publié et présenté des conférences à travers le monde sur la codicologie, la reliure, l'art de l'enluminure et l'histoire du livre arménien.

Elle est l'une des rares spécialistes de ce continent à étudier les manuscrits, les reliures et les livres arméniens. Actuellement bibliothécaire en salle de lecture à la Morgan Library and Museum de New York, elle travaille au catalogue de la prochaine exposition arménienne du Metropolitan Museum of Art.2Baghdiantz McCabe rappela brièvement le contexte de l'œuvre de Raphaël Lemkin, inventeur du terme génocide.

Merian exprima sa reconnaissance aux organisateurs et aux parrains de la soirée, ainsi qu'à la Houghton Library de l'université de Harvard, prestataire de la bourse Katherine F. Pantzer de bibliographie descriptive et l'aide de son personnel pour ses recherches. Elle reconnut parmi l'assistance Nancy Keeler, qui avec sa sœur Ester Safarian, décédée depuis, échangea des informations sur l'un des manuscrits abordés ensuite lors de sa conférence. 

Merian prononça un discours très accessible, accompagné d'illustrations, dans lequel elle expliqua tous les termes universitaires utilisés. Elle commença par expliquer qu'un manuscrit est un livre écrit à la main, produit sans imprimerie par un copiste hautement qualifié, comprenant fréquemment des ornementations dues à un artiste. Il peut être sur papier ou parchemin, lequel est fabriqué à partir d'une peau animale spécialement préparée, plus solide que le papier mais davantage sensible aux changements de température et d'humidité. La plupart des manuscrits arméniens, rappela-t-elle, contiennent en épilogue des colophons (hichadaragan en arménien), des inscriptions rédigées habituellement par le copiste, comportant le lieu et la date d'achèvement du manuscrit, les noms de tous ceux qui ont contribué à le produire, celui des mécènes qui ont passé commande et payé pour ce travail, ainsi que des informations historiques et détaillées sur la famille personnelle du copiste.

Lors de ses recherches à la Houghton Library d'Harvard, Merian demanda le 10 avril 2009 le manuscrit arménien n° 12 figurant dans ses collections. Il s'agit d'un synaxaire - ou haysmavourk en arménien - à savoir un ouvrage commémorant les saints en fonction de leur calendrier. Il est très épais - plus de 15 centimètres au dos, fabriqué en parchemin et conservé dans un imposant coffret. Le manuscrit est très endommagé, les pages de début et de fin manquantes, dont le colophon final. Sa date d'origine est incertaine, mais pourrait remonter soit à 1418, soit au 17ème siècle.

L'agitation de Merian alla croissant, tandis qu'elle étudiait ce manuscrit. Il comportait des entailles et des déchirures semblables à celles assénées violemment par une épée ou une hache sur un livre ouvert. Les lacérations perforaient jusqu'à 46 pages de parchemin. A ses yeux, confia-t-elle, c'était comme contempler irrespectueusement un corps mutilé. Il y avait même une page avec des taches ressemblant à du sang.

Pressentant qu'une histoire importante présidait à ce manuscrit, elle découvrit qu'il fut donné en 1965 par Paul O. Boghossian Jr., Madame A. Holopigian, Madame Peter R. Keeler et Madame Ralph Seferian. Procédant à la manière d'un détective, elle retrouva la notice nécrologique de Ralph Seferian. Chose étrange, elle était datée du 10 avril 1999, 10 ans exactement avant que Merian ne consulte le manuscrit. Elle retrouva des membres survivants de la famille et rencontra Nancy Boghossian Keeler, qui lui expliqua que sa famille était originaire de Kharpert, où des massacres d'Arméniens eurent lieu à l'époque du sultan Abdülhamid II, perpétrés par des bandits kurdes. Non seulement les Kurdes liquidèrent une grande partie de la population, mais ils s'en prirent aussi au patrimoine culturel arménien. Les livres saints arméniens symbolisaient l'ennemi exécré.

Bien que l'on ne sache pas précisément ce que les Boghossian endurèrent en 1895, de toute évidence certains d'entre eux parvinrent à émigrer aux Etats-Unis, tandis que d'autres qui survécurent au génocide arménien arrivèrent plus tard, après la Première Guerre mondiale. Ce manuscrit endommagé fut découvert après les massacres à Kharpert ou aux environs dans un caniveau, ce qui explique les dégradations dues à l'eau. La personne qui le retrouva l'apporta à Vosgan Boghossian, le patriarche de la famille, qui le lui acheta. Le fils de Boghossian, Sarkis, l'emmena à Leipzig, en Allemagne, pour le montrer à des érudits, puis il immigra aux Etats-Unis en 1903, en l'emmenant avec lui. Sarkis retourna à Kharpert avant 1915 afin d'aider sa famille, mais ne revint jamais aux Etats-Unis. Il fut présumé mort, et le manuscrit se transmit alors au sein de la famille, qui en fit finalement don à la Houghton Library.  

Le second manuscrit évoqué par Merian est un lectionnaire syriaque, à savoir un recueil de lectures bibliques à des dates spécifiques, du 11ème au 12ème siècle (manuscrit syriaque Houghton, n° 139). Les Assyriens chrétiens endurèrent un calvaire en 1895, à l'instar des Arméniens. Ce manuscrit, tout comme son homologue arménien, est fait de parchemin et n'a pas de couvertures. Il est gravement endommagé, avec un cratère large d'environ 18 cm sur 26,4 et profond de 3,6 cm, brûlé par endroits, certains motifs et médaillons étant découpés.

Intriguée, Merian remarqua alors un petit orifice au dos du manuscrit. Elle soupçonna qu'une balle avait pu entrer là, provoquant ensuite la formation du cratère. Un collègue familier de la médecine légale et des armes convint que ce pouvait être le cas. On ignore tout des circonstances, mais une note insérée dans le manuscrit précise qu'il fut brûlé lors des massacres de 1895-96. Il fut vendu au Semitic Museum de l'université d'Harvard par le révérend James L. Barton en 1900. Missionnaire, Barton avait reçu le manuscrit de la part d'un autre missionnaire, le révérend Alpheus N. Andrus de Mardin, pour le compte d'un vendeur local.

Mardin était essentiellement une ville syriaque, préservée pour l'essentiel des massacres de 1895 grâce, dit-on, à une puissante tribu kurde en bons termes avec les missionnaires américains. Ce manuscrit a figuré dans l'exposition "Passports: Lives in Transit"à la Houghton Library (30 avril - 18 août 2018) (NdT).

Merian évoqua des exemples similaires de destruction culturelle dans des périodes antérieures et contemporaines. Les Evangiles de 1266, réalisés pour le roi de Cilicie arménienne Héthoum Ier par Toros Roslin (Matenadaran, ms. 5458), furent victimes des invasions de Tamerlan. Des ouvrages furent bombardés lors du bombardement de Copenhague en 1807 par les Anglais, dont un, intitulé par un étrange paradoxe Defensor Pacis[Défenseur de la Paix], fut victime de dommage collatéral. Il s'agissait d'une première édition, datant de 1522 à Bâle.

Plus récemment, les statues des Bouddhas de Bâmiyân furent détruites en tant qu'idoles en 2001 par les talibans, tandis que l'église arménienne des Saints-Martyrs de Deir-es-Zor, ainsi que son Mémorial du génocide, ont été bombardés le 21 septembre 2014 par l'Etat Islamique.

Dans sa conclusion, Merian rappela que Raphaël Lemkin, inventeur du terme génocide, avait intégré dans sa définition l'objectif délibéré d'éliminer le patrimoine culturel d'un peuple. La destruction des artefacts d'un peuple, précisa-t-elle, constitue une tentative supplémentaire d'anéantissement et une façon de détruire son âme. Or certains artefacts survivent et, dans le cas arménien, sont les éléments clés de la survie obstinée de ce peuple.

A la fin de la conférence, Baghdiantz McCabe convia tous les étudiants et anciens élèves arméniens de l'université Tufts à monter sur l'estrade pour une minute de silence, après quoi ceux qui le souhaitaient purent déposer des œillets sur la plaque apposée à l'extérieur de la chapelle, dédiée aux victimes du génocide arménien. Une réception à la Coolidge Room du Ballou Hall, tout proche, fut l'occasion de poursuivre le débat.                         


NdT

1. Joyce Barsam est membre du Conseil consultatif de la Fletcher School (Tufts U.) et vice-présidente de la Tavitian Foundation (Woodcliff Lake, NJ).
2. Exposition "Armenia!", Metropolitan Museum of Art (New York), 22.09.2018 - 13.01.2019. Catalogue : Armenia: Art, Religion, and Trade in the Middle Ages, edited by Helen C. Evans, The Metropolitan Museum of Art, 2018, 352 p. - ISBN: 9781588396600.
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Traduction : © Georges Festa - 01.2019



Hans-Lukas Kieser : Talaat Pasha, Father of Modern Turkey, Architect of Genocide [Talaat Pacha, père de la Turquie moderne, architecte du génocide]

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 © Princeton University Press, 2018

Explorer l'histoire de Talaat, bâtisseur de nation, architecte du génocide



PRINCETON, N.J. - Talaat Pacha (1874-1921) dirigea le triumvirat qui gouverna l'ancien empire ottoman durant la Première Guerre mondiale et est incontestablement le père de la Turquie moderne. Il fut aussi l'architecte du génocide arménien, qui se traduisit par l'extermination systématique de plus d'un million d'êtres humains et qui ouvrit la voie à un siècle témoin d'atrocités d'une ampleur inouïe jusqu'alors.

Il s'agit de la première biographie en anglais de cette figure révolutionnaire qui non seulement prépara le terrain pour Atatürk et la création de la république en 1923, mais forgea aussi le monde moderne.

Dans cet ouvrage explosif, Talaat Pasha, Father of Modern Turkey, Architect of Genocide, Hans-Lukas Kieser livre le portrait fascinant d'un homme qui se maintint au pouvoir grâce au mélange puissant d'un nouveau nationalisme turco-ethnique, de l'islam politique hérité de l'ancien sultan Abdülhamid II et d'une volonté d'employer des "solutions" et une violence radicales.

Du rôle de Talaat dans la révolution Jeune-Turc de 1908 à son exil de Turquie et son assassinat - qui fit sensation dans l'Allemagne de Weimar - Kieser restitue la tragédie ottomane au cœur des événements mondiaux. Il montre comment Talaat exerça un pouvoir inédit jusqu'alors, faisant de lui le dirigeant de facto de l'empire. Il reconstitue d'une façon frappante Istanbul en temps de guerre, devenue un centre diplomatique florissant, et montre comment les actions cataclysmiques de Talaat auront un écho à travers le 20ème siècle.

Dans cette somme universitaire qui fera date, Kieser raconte l'histoire d'un brillant et implacable politicien apparu au crépuscule de l'empire et à l'aube de l'ère des génocides.

Hans-Lukas Kieser est professeur associé à la Faculté de Sciences humaines et sociales de l'université de Newcastle (Australie) et professeur associé d'histoire à l'université de Zürich (Suisse). Parmi ses nombreux ouvrages, citons Nearest East: American Millennialism and Mission to the Middle East (Temple University Press, 2010), World War I and the End of the Ottomans: From the Balkan Wars to the Armenian Genocide (I.B. Tauris, 2015), et Turkey beyond Nationalism: Towards Post-Nationalist Identities (I.B. Tauris, 2006).         

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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Alexander Agadjanian - Armenian Christianity Today: Identity Politics and Popular Practice / Le Christianisme arménien aujourd'hui : politique identitaire et pratique populaire

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© Routledge, 2014

Armenian Voice(Londres), Spring 2018, No. 71


Armenian Christianity Todayétudie la vie religieuse contemporaine, ainsi que le rôle social, politique et culturel de la religion en république d'Arménie post-soviétique et dans la diaspora arménienne à travers le monde.

Plusieurs spécialistes issus de divers pays et disciplines explorent les tendances actuelles et la pratique religieuse quotidienne au sein de l'Eglise apostolique arménienne, ainsi que parmi les Arméniens catholiques, protestants et traditionnalistes.

Parmi les thèmes étudiés citons : la pratique religieuse populaire chez les Arméniens; les mutations du culte régulier et de la piété; la diversité de la vie paroissiale; et la dynamique de composition sociale du clergé et des fidèles laïcs.

Axé sur l'Arménie, cet ouvrage s'intéresse aussi aux implications plus larges des tendances "post-laïques" concernant le rôle des religions mondiales.    

[Professeur au Centre d'Etude des Religions à l'Université Russe des Sciences Humaines, Alexander Agadjanian a enseigné dans plusieurs institutions en Russie, en Europe Centrale et aux Etats-Unis. Ses centres d'intérêt sont très variés, abordant la religion et la modernité au plan historique, sociologique et anthropologique. Ses domaines de spécialisation ont été tout d'abord l'Asie du Sud-Est, puis l'Europe Orientale post-soviétique et l'Eurasie. Il a publié quelques livres en russe, dont un ouvrage sur la religion et la laïcité, un autre sur les pratiques religieuses actuelles en Russie, et un troisième sur les congrégations russes orthodoxes. Il a coédité l'ouvrage Eastern Orthodoxy in a Global Age: Tradition Faces the 21st Century (AltaMira Press, 2006), ainsi qu'un numéro spécial de la revue Religion, State and Society sur les églises évangéliques, pentecôtistes et charismatiques en Amérique Latine et en Europe de l'Est (Vol. 40 (1), 2012).]
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Traduction : © Georges Festa - 01.2019


Les contes cruels de Paula Rego - Exposition Musée de l'Orangerie (Paris), 17.10.2018 - 14.01.2019

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Paula Rego, The Dance[La Danse], 1988
Acrylique sur papier monté sur toile - 212,6x274 cm
© Collection privée / Bridgeman Images

Les contes cruels de Paula Rego
Exposition Musée de l'Orangerie (Paris), 17.10.2018 - 14.01.2019
www.musee-orangerie.fr


Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance.
Emil Michel Cioran, Histoire et utopie, 1960


        Des vertiges de Jérôme Bosch au Goya noir des Caprichos et des Proverbios, de l'innocence défaite des frères Grimm aux obsessions des sœurs Brontë, des hantises d'un Granville ou d'un Gustave Doré aux fêlures d'un David Hockney, l'univers initiatique de Paula Rego cultive décidément ce fil rouge d'une blessure originelle, fondatrice : un être-au-monde décalé, saisi d'effroi, mais aussi d'un humour rémanent, nourri de Pinocchio et Walt Disney, où le monde baroque des contes croise à tout moment les scénographies d'un Degas, d'un Genet ou d'un Balzac.
        Autant dire que ce théâtre de l'inquiétante étrangeté convoque d'emblée chez le spectateur une dynamique délibérément dérangeante, dissection irrémédiable et amusée d'un quotidien échappant à toute rationalité, de frontières devenues folles et autres renversements salutaires.
        Métissage improbable de Lettres portugaises toutes contemporaines et des errances d'un Poe ou d'un Lewis Carroll, une liberté neuve s'invite ici, nourrie d'envers du décor, rêveuse de monstres complices, oublieuse des codes et des logiques trop simples. Héritière d'un Pessoa et d'un Lobo Antunes. Entre prospérités du songe et part maudite, entre paradis meurtris et incantations naïves. 
       
        1. Le cercle oublié. L'ange témoin projetant son ombre. Les signes énigmatiques. Quel sacrifice se joue là. Rituel de scarification. Flaque blanche cisaillant les jambes. Parabole de l'ennui. Esquisse d'une 121ème journée. Ce que le désir ne dit plus. L'offrande du pied. Parabole ou déconstruction savante. Il était une fois. Géométrie mystique. Du silence. - Wendy sewing on Peter's Shadow[Wendy cousant l'ombre de Peter], 1992. Gravure à l'eau forte et aquatinte. Londres, Malborough Fine Art

        2. Les renversements. Ou la perspective animale. Autre poupée de Bellmer. Bras et croupe. L'irruption grotesque. Fin de chapitre. Quand il s'agit d'apprendre. S'étonner. Dialogue noir et blanc. Corps offert aux dévorations. Imaginer la suite. Epaisseurs et obliques. Suggérer l'impossible. Paume ouverte, doigts intimant un ordre. Coulées grises. Le désordre premier. - Girl with her Mother and a Dog [Jeune fille avec sa mère et un chien], 1987. Gravure à l'eau-forte et aquatinte. Londres, F. Rossi

        3. L'arabesque. Trois anges ailés de noir. Aux queues de sirènes vertes. Tournoyant au-dessus du visiteur. Auréole bleue. Dessinant son soleil de merci. Dans ce ballet inexorable. Les trois postulations. Du songe éveillé. Démons hybrides. Aux bras hurlants. Intermède entre deux scènes. Tu as tout pouvoir. De t'abandonner. Pesanteurs lentes. Parques androgynes. Traçant leur ronde infernale.

        4. Sacrifices. Le prêtre boursouflé. Adossé à la paroi blanche. Habit de lumières. Ocre et rose. Tel un totem muet. Bestiaire taurin. L'enfant pantin. En contrepoint. Ce qui s'est accompli ici. Statuaire cannibale. Nulle rémission. Fixant du regard. Effondrements. Puisque tout est consommé. Rituels du pouvoir. Massacre des innocents. Au bord de l'arène. Passage au rempart. Des enfermements.

        5. Cauchemars d'Alice. Convoquer cette arche de Noé. Obscène. Lorsque les visages ne suffisent plus. Procession aux lapins travestis. Fillette au masque de boucherie. Témoins se muant en insectes. Oiseau en abîme. A la patte désarticulée. Etagements de bruns et de roses. Métamorphiques. Horizon bleu outremer. Nuit définitive. Les amnésies. Trop évidentes. - War [Guerre], 2003. Pastel sur papier monté sur aluminium. London, Tate, presented by the artist (Building the Tate Collection) 2005.

        6. L'enfant et la magicienne. Les découvertes interdites. Hiéroglyphe familial. Scansions de chairs et de tissus. Plis de l'âme. Quand viendra le dévoilement. En fin de conte. Tu verras. Tu pourras. L'initiatrice des limites. Dans la nuit étoilée. Quand le rêve fait irruption. Convoquant ses fantômes. Se tenir debout. Ne rien oublier. L'heure viendra. - Blue Fairy whispers to Pinocchio [La Fée Bleue chuchote à l'oreille de Pinocchio], 1995. Pastel sur papier monté sur aluminium. Collection CAF.

        7. Aux aguets. S'agripper aux éléments. Comme on s'agrippe aux certitudes. Mains labourant. Les moissons. Au bord de la fosse. Prêtes à l'ensevelissement. Arc-boutées. Retenir ce qui échappe. Conjuguer mains et pieds. Couple de la jeune et de la vieille. Car il n'est pas de répit. Les saisons immuables. Des servitudes. Et des révoltes. Naissance et mort. - Scavengers [Charognards], 1994. Pastel sur toile. Collection particulière.

        8. Les mannequins. Où il est question de proximités. Familiales. Autant dire abyssales. Toile blanc et or. Ce décor improvisé. Masse ithyphalle. Gantée de noir. S'appuyant à la robe bleue. Le témoin androgyne. Visage et jupe. Jouets désarticulés. En arrière-plan, la femme à l'enfant. Clown rose et noir. Abolitions du genre. Echelle et poupées. Nos héritages. - The Pillowman Triptych[Triptyque l'homme-oreiller], 2004. Pastel sur papier monté sur aluminium. Londres, Ostrich Arts.

        9. Danse macabre. Envers de l'histoire officielle. Pantin crucifié. Robe verte, gantée de blanc. Crâne animal. Prêtre lilliputien et tête de porc au premier plan. Servi sur tapis rouge. Personnages endormis, regardant ailleurs. Réminiscence de Brueghel. Carnaval de mort. La ville immaculée. En toile de fond. Horizon blanc. Incandescent. Cauchemars somnambules. - Scarecrow and the Pig[L'épouvantail et le porc], 2005. Pastel sur papier monté sur panneau. Londres, David Roberts Collection.

        10. Les renversements. Autre figure du refus. Obstiné. Insensé. Se défiant des lois. L'animal terrestre. Muscles de la cuisse, paumes crispées. Ce qui reste du jour. Les progressions premières. Ou dernières. Oubli de la langue. Les règles déjouées. N'est pas victime qui pense. Les figures d'agression. Aubes féminines. Volumes carnés. Reptilienne. - Dog Woman [Femme-chien], 1994. Pastel sur toile. Collection particulière.

        11. Géométries inversées. Les perspectives nocturnes. Femme à la botte et au chat. Noirs. Volutes des plis. Bras sanglé de cuir. Dialogue subtil. Entre résolutions et échappées. Huis clos où fermente une révolte qui ne dit mot. Geste souveraine. D'avant-guerre. L'amazone sereine. Fourbissant sa séduction. Domination de toujours. Obstination. - The Policeman's Daughter[La fille du policier], 1987. Acrylique sur papier monté sur toile. Collection particulière.            
       
        12. Les frontières floues. Quand il s'agit de relire. D'apprivoiser. Cérémonies domestiques. Dénonciations. Qui se font hantises, sacrifices. Lys cannibale. Frondaisons aux doigts palmés. Femmes de chambres. Aux avant-postes. Les duos burlesques. Sanglier emblème. Chasses intimes. Inavouées. Omniprésentes. Couples indécidables. Scellés. - The Maids [Les Bonnes], 1987. Acrylique sur papier monté sur toile. Marlborough International Fine Art.

        13. Aux limites. Saint Georges en abîme. Ce que paternité dit. Jupe damier contre pantalon plissé. Bras retenant le souffle. Croupe et paumes décidées. Fillette aux mains jointes. Scénario anonyme. Chambre de toutes les convulsions. Orgie programmée. Ou inavouable. Autre théâtre du désir. Car il s'agit encore et toujours. D'inventer. De fuir. - The Family [La famille], 1988. Acrylique sur toile montée sur toile. Marlborough International Fine Art.

        14. Les deux ménines. Envers des Marquises. Nuit végétale où dansent des animaux-gargouilles. Mâchoire nacrée du chien-ogre que l'on tient dans ses bras. Menaces incertaines ourlées de vermillon et d'or. Visages interrogateurs. Dans cet Eden muet. Les éléments se mêlent. Quand l'enfance ressurgit. Etrangère. A l'instant, aux certitudes. Loin des adultes. - In the Garden [Dans le jardin], 1986. Acrylique sur papier monté sur toile, 150 x 150 cm. The Collection of Kim Manocherian

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© Georges Festa, 01.2019. Tous droits réservés.
musique : Boris Brejcha, Lost Memory, 2008
 


Nicolas Ruelle - Clair de lune

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Nicolas Ruelle, Clair de lune, 2010, 60 x 73 cm

à René-Louis F.,

Les apocalypses. L'image dernière. D'où s'échappent monstres et coulées. Ecume d'un monde en suspension. Tu gravis la pente. Obsidiennes, grenats. Nuit mémorielle. Les mâchoires du temps. Mettre à nu la gangue. Vive. Comme on recouvre une cicatrice. Eclaboussures, crépitements. Braises à tout rompre. Rejoindre à jamais. Horizons immaculés. D'outre-corps. Tes Edens. Dire l'extase. Et sa nuit. Aigle hybride. De merci. Prenant son envol. L'ange revenu des profondeurs. Chargé de boue. Soleil noir irradiant la scène. Dans cet agrégat d'atomes. Etreindre à nouveau. Montagnes, estuaires. Visages, chevelures. Ici ont brûlé des corps. Cité interdite. Qui se dresse à l'horizon. Cité spectre. Qui se dérobera. Tes chemins de Compostelle. Irradiés. Les territoires en recomposition. Décompositions. Finalement dans ce chaos. Nourricier. De traverse. La collection miraculeuse. Chamanique. Glissements métamorphiques. Portes, sourires. Regards, gestes. Aubes, effondrements. Scène de multiplication. Car il s'agit d'additionner. D'éployer. Comme on rassemble une ultime fois. Avant le gouffre. La mégalopole invisible. Envahissements. Vue du cockpit. Les effets de masse. Quand tu reviens. Essayer de reconstituer, retrouver. Les repères évanouis. Pris dans la nasse. Se débattre. Défaire les fils. La rive devenue autre. Recul. Geste de cendres et de feu. Lorsque tout est balayé. Affaire de secondes. Chiffres qui s'emballent. Les nuages innommables. Torsions ultimes. Et si ce masque nous disait. Changer de forme. Tes mondes. Au seuil du mystère. De ta nuit gagner la lumière. Rejoindre la cime. Océanique. Mondes en résumé. Puzzle. Tout va commencer. Savoir qu'à tout moment. Frontières abolies. Entremêlements. Tes emblèmes. Ensevelissements du Greco. Ténèbres de Guardi.

© georges festa - 02.2019
musique : Boris Brejcha, Puki Original Mix, 2014     

site de Nicolas Ruelle : http://nicolasruelle.com/


Chouchanik Kourghinian : Այդ ես եմ անհաղթ / I am the one / Je suis la seule

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 © Armenian International Women's Association, 2005


Chouchanik Kourghinian


à Tatev Setrakyan,


Այդեսեմանհաղթ
ՇուշանիկԿուրղինյան, 1908

Այդեսեմանհաղթ, հսկումձեզվրաերգովհոգեթով.
Այդեսեմանքունձեզբախտերազումմայրականգթով.
Ղողանջսվայրագհնչումէարագ
Ձեզհամարկյանքի, ովխորթզավակներ,
Ործախվածօրովապրուստկըմուրաք
Ուչենչորանումտանջանքիդակներ։
Ղողանջսհնչունհնչումէարագ
Ձերանփառքկյանքիհզորշռինդով --
Միշտոլորտացողպայքարինպապակ
Անհագվրեժիոխիխինդով։
Այդեսեմկայտառուըմբոստհոգով՝ձեզհետմնացի,
Այդեսձերսիրունթողիմեղեդիսնուրբուկանացի . . .


I am the One
by Shushanik Kurghinian, 1908

I am the one, unconquered, watching over you with songs of allure,
I am the one, sleepless, dreaming your fortune with motherly care;
my fierce voice rings with alarm
for you, stepchildren of life, who
beg an existence toiling all day,
suffering won’t let your eyes grow dry.
My vibrant voice rings with alarm
resounding mightily for your dishonored lives,
always longing for resistance, a struggle,
waiting with unquenched vengeance, waiting for revolt..
I am the one, buoyant and rebellious, standing with you,
I am the one who for love of you left behind her feminine rhyme.

(traduction anglaise : Shushan Avayan)

Je suis la seule
de Chouchanik Kourghinian, 1908

Je suis la seule, invaincue, veillant sur vous avec ses chants de sirène,
Je suis la seule, insomniaque, rêvant votre destin avec un soin maternel;
ma voix farouche se fait entendre, inquiète
pour vous, mes enfants par alliance,
mendiant une existence à travailler tout le jour,
souffrir ne fera pas que vos yeux sèchent.
Ma voix puissante se fait entendre, inquiète
résonnant avec force pour vos existences profanées,
aspirant sans cesse à la résistance, au combat,
attendant, vengeresse inassouvie, attendant la révolte.
Je suis la seule, robuste et rebelle, à vos côtés,
Je suis la seule qui par amour pour vous a délaissé sa rime féminine.

(traduction française : Georges Festa)

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Evénement "Découverte des poésies de Chouchanik Kourghinian"
accompagné a cappella par le Groupe Nazani

UGAB Lyon - samedi 23 mars 2019, de 17h à 19h30



Anahit of Erebuni : A la découverte de Chouchanik Kourghinian (1876-1927) / Learn about Shushanik Kurghinian (1876-1927)

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 Camille Claudel, Sakountala(1925, détail), marbre, Musée Rodin, Paris
© https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_Claudel#/media/File:VertumnusandPomonabyCamilleClaudel_.jpg

A la découverte de Chouchanik Kourghinian (1876-1927)



Chouchanik Kourghinian (née Popoldjiantz) est une poétesse et militante arménienne qui se servit de son art et de son engagement politique pour défendre et lutter contre toutes les sources d'oppression qui la ciblaient, elle et ses semblables, en tant qu'Arménienne, femme et membre de la classe ouvrière.

Née en 1876 à Alexandropol (actuellement Gumri, en Arménie), Chouchanik prit conscience au plan social en grandissant dans une famille pauvre, son père étant simple cordonnier. Elle naquit aussi à une époque où l'Arménie était divisée, partagée entre deux puissances étrangères différentes : l'Arménie Occidentale était sous domination turque, tandis que l'Arménie Orientale était contrôlée par l'empire russe. Ce qui, associé à sa prise de conscience sociale, l'amena à rejoindre le combat pour la libération des Arméniens et à devenir membre du parti social-démocrate arménien hentchak en 1893, qui luttait à la fois contre les Turcs et les tsaristes.

A 21 ans, désireuse de rassurer sa famille attachée aux traditions, Chouchanik épousa Archak Kourghinian, dont elle aura deux enfants. Mais le fait de constituer une famille ne l'empêcha pas de continuer son combat et, en 1903, elle se retrouva à Rostov-sur-le-Don et rejoignit les mouvements révolutionnaires en Russie qui conduiront à la création de l'Union Soviétique. En 1921, elle se rendit dans l'Arménie récemment soviétisée pour aider à reconstruire le pays.

Mais durant toute sa vie, un autre aspect essentiel de son combat fut voué à élever la condition des femmes arméniennes, à une époque où dans certaines régions elles n'avaient même pas le droit de prendre la parole en public.1Dans son poème puissant, "J'ai envie de vivre" (1907)2, Chouchanik va jusqu'à privilégier son combat contre les hommes, qui a besoin d'être mené à bien pour qu'elle puisse lutter main dans la main avec eux pour la libération de son peuple et de sa classe :

"J'ai envie de me battre - tout d'abord comme ta rivale,
à t'affronter, nourrie d'une vengeance ancienne
puisque, sans raison, ni pitié, tu
as fait de moi une vassale par amour et par force.
Alors, une fois réglés ces conflits propres à mon genre,
j'ai envie de me battre contre les épreuves de cette vie,
bravement, tout comme toi, main dans la main,
affrontant ce combat, à la vie à la mort."

Bien qu'elle reste largement méconnue aujourd'hui, la force de son engagement pour des droits égaux et le mouvement des femmes en fait une des plus importantes figures du féminisme arménien. Dans un autre poème intitulé "Unissons-nous" (1907)3, elle lance cet appel :

"Assez de porter sur nos épaules le fardeau du malheur
et de la douleur de ce néant !
Assez de ces lamentations voilant l'étincelle dans nos regards !
Assez de sacrifier la fleur de notre jeunesse à ces lois atroces,
délaissées, sans défense entre quatre murs,
assez de les laisser fermer les portes grandes ouvertes !
Viens, ma sœur, saluons le monde et appelons toutes nos camarades.
Trouvons une solution, dégageons une voie nouvelle, autre que cette vile et sombre
existence faite d'oppression.
Viens, ma sœur, unissons-nous, prenons part à ce grand combat
sacré.
Paralysées par la prison, assez de notre vie d'esclaves à l'esprit engourdi !
Ne les laissons plus, ces veinards, être aussi insolents en se lançant à l'assaut;
sans nous, crois-moi, ma sœur, ils n'atteindront aucun but, ils vont s'effondrer !
Viens, ma sœur, n'aie crainte, main dans la main, en sacrifiant tout
pour notre juste cause, chacune est égale et digne du combat
pour la lumière sacrée de la libération !"

Bien qu'écrits au début du 20ème siècle, ses mots trouvent toujours un écho parmi les femmes à travers le monde aujourd'hui. Une partie de son œuvre a été traduite en anglais grâce au travail remarquable et important de Shushan Avagyan, et publiée dans l'ouvrage intitulé I Want to Live: Poems by Shushanik Kurghinian par l'Armenian International Women's Association (2005).

Notes

3. "Two or Three Things She Knows About Shushanik" (2005). A video by Tina Bastajian on the translation of Shushanik Kurghinian's (1876-1927) poetry into English. - https://www.youtube.com/watch?v=KioWhgmX5rk

Lectures proposées :

"I Want to Live: Poems of Shushanik Kurghinian" par Eddie Arnavoudian, Groong, 27.02.2006 - http://www.groong.org/tcc/tcc-20060227.html (traduction française à paraître sur notre blog - G. Festa)
"A Forgotten Heritage," par Shushan Avagyan, Groong, 15.07.2003 - http://www.groong.org/tcc/tcc-20030715.html
"The Keepers of Our Letters," par Shushan Avagyan, Groong,  10.01.2005 -  http://www.groong.org/tcc/tcc-20050110.html  

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Traduction : © Georges Festa - 03.2019


Présences de Max Marchand (1911-1962)

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© Oran : L. Fouque, 1956




Présences de Max Marchand

Oran, 1956. Six ans avant le massacre. Comme on danse sur le volcan. Entourés de barbelés, ivres de vestiges et d'écume. Etourdis par la dernière guerre. Assommés par l'urgence qui se tapit. Alors les fuites, les escapades, les ruses. Pour oublier, s'épuiser. S'anéantir dans la jouissance. Chaque instant, chaque rue. Les passants, les oubliés. Les morts au loin. Aurès, oueds, cellules, napalm. Dans ce concentré de l'Histoire. Les interstices familiaux. Qui se lèvent. Car il est des séismes invisibles. Réel qui se craquèle. Bouillonnements irrépressibles. Deviner la source. Qui te conduit à l'évidence. Comme on flaire les hasards sûrs. Mon père secrétaire de M. Les lignes, les vertiges. Gide et ses déserts. Autant de désirs. Ce fil d'Ariane. Qui conduira aux fusillades. Aux camions. Aux revolvers. Psychopathologie d'un territoire. Imaginaire psychosexuel. Les fils s'entrelacent, se dénouent. Tapisserie familiale qui ressurgit. D'André à Donatien. De l'Algérie à l'Italie. Navigation aveugle, nourricière. Les sirènes invisibles. Quelle Circé nous accompagne ? L'analyse et ses rites. De la rue Colombani à El Biar. Dans ce dédale des villes. Où l'espoir irrigue les corps. Où la mort imposera ses lois. Au fil des pages. Décrypter les ruptures. Décliner les asservissements. Mettre à nu. Archéologies intérieures. Saharas de tous les égarements. Italies de tous les abîmes. Ce fil rouge. Le film qui se déroule. Car il est des puzzles noirs. Chants de libération. Où le passant s'égare, s'oublie. Oran, 2019. Les décennies écrasantes. Légères. Dans ce désordre des vies. Savoir que des ombres veillent. Les objets tiers. Traverser le miroir. Abattre le mur. Soleils prophétiques. Naissance.  

à mon père, Ange Maximilien Vital F.
secrétaire de Max Marchand (1911-1962), assassiné par l'OAS

© Georges Festa - 11.2019
musique : Oxia, Domino, 2017
  

Vercihan Ziflioğlu : Beni Unutma Rusyam, Asırlık Sürgün [Ne m'oublie pas, Russie : un siècle d'exil]

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© Ankara : Kuzey Işığı Yayınları, 2019

Ne m'oublie pas, Russie :
le nouveau livre de Vercihan Ziflioğlu sur les émigrés russes brise un siècle de silence

par Marine Martirossian
Hetq (Erevan, Arménie), 30.01.2019


Beni Unutma Rusyam, Asırlık Sürgün [Ne m'oublie pas, Russie : un siècle d'exil], de la journaliste arméno-stambouliote Vercihan Ziflioğlu, vient de paraître.

C'est l'histoire de ceux qui fuirent la Révolution d'octobre 1917 en Russie pour la Turquie, relatant au quotidien leur calvaire sur la route de l'exil. Parmi ceux qui s'établirent en Turquie, certains eurent si peur des répercussions politiques et sociales possibles qu'ils finirent par changer leurs noms afin de dissimuler leur statut d'"émigré blanc."

Quelque 200 000 personnes, précise Ziflian, ont quitté la Russie pour la Turquie dans le sillage de la révolution russe et de la guerre civile qui s'ensuivit. Beaucoup étaient liées au gouvernement tsariste, à l'aristocratie et aux classes privilégiées, et s'opposaient aux bolchéviks. La Turquie fit office de zone de transit pour les émigrés. Les plus riches gagnèrent l'Europe et au-delà. Les plus démunis restèrent en Turquie, gardant toujours espoir que la situation change en Russie et qu'ils puissent rentrer chez eux.

De nombreuses personnalités, note-t-elle, quittèrent la Russie à cette époque. Dont Tatiana Soukhotina-Tolstaïa, la fille aînée de l'écrivain russe Léon Tolstoï, qui aida certains aristocrates émigrés à obtenir des passeports Nansen.

Alors qu'elle travaillait au quotidien turc Hürriyet, Ziflian rencontra certains de ces émigrés devenus âgés, tout à fait par hasard, passés inaperçus, leurs véritables identités ignorées du grand public.

"Une dizaine. Ils ne voulaient pas parler d'eux. Ils avaient des difficultés financières et vivaient pauvrement. Peu à peu, au fil des ans, j'ai gagné leur confiance et j'ai commencé à recueillir leurs histoires," confie Ziflian, ajoutant que, selon elle, certains avaient des racines arméniennes.

Elle cite par exemple Kazimir Pamir, dont la mère possédait des mines à Erevan et à Kars en Russie tsariste. Lequel Pamir, ajoute-t-elle, avait appris l'arménien de sa mère.

"Ce qui compte, pour moi, c'est l'histoire humaine, pas celles des nantis, mais montrer que des gens ont vécu ce genre d'existences dans l'histoire. Autrement dit, posséder un tas d'argent ou vivre dans des palais n'avait aucune importance. C'est l'histoire des gens qui m'intéresse."

Les cinq émigrés avec qui elle s'est entretenue en Turquie lui ont raconté qu'ils n'auraient jamais survécu s'ils étaient restés en Russie. Les proches de la plupart de ceux qui ont fui la Russie n'ont eux aussi pas survécu.

Elle me parle de Roxana Omarova, une Tatare russe, qui fuit la Russie, enfant, à l'âge de sept ans. Les bolchéviks ont assassiné son grand-père. La jeune fille s'établit tout d'abord en Chine, puis partit au Japon avant de revenir en Chine. Elle finit par s'installer en Turquie, changeant son nom et obtenant la citoyenneté turque. Des années plus tard, elle voyagea avec son fils en Russie. Un pays qu'elle ne reconnut pas, confia-t-elle à Ziflian.

Un passage intéressant du livre a trait aux soldats russes qui avaient été affectés à Kars par le tsar Nicolas II. Un grand nombre n'en partirent pas après le retrait de la Russie de la Première Guerre mondiale, et restèrent là à l'époque de la création de la république de Turquie, puis des décennies durant. La dernière famille dont les origines remontaient à ces soldats du tsar a quitté Kars en 1997.

Cet ouvrage a demandé sept ans de travail à Ziflian. Ses recherches l'ont amenée en Russie et aux archives du musée de l'Ermitage.

Le titre du livre, précise-t-elle, ne doit rien au hasard. Un des émigrés, lors d'un entretien, ne put retenir son émotion et laissa échapper ces mots : "Ne m'oublie pas, ma Russie !"

[Vercihan Ziflian est née à Istanbul où elle vit actuellement. Journaliste de profession depuis vingt ans, elle est l'auteure de quatre livres : Ananun Yeraz  (Aras, 2000), Hanelug [L'Enigme] (Aras, 2007), Araftaki Ermenilerin Hikâyesi [Histoire des Arméniens au Purgatoire](İletişim Yayıncılık, 2015) (qui, selon elle, a suscité un vif intérêt en Turquie car il abordait, pour la première fois, la question des Arméniens islamisés, membres du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et ignorant tout de leurs origines) et Göz [L'Œil] (Belge Yayınları, 2016).]           

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Traduction : © Georges Festa - 11.2019



Anahid Abad - Yeva

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© Venera Films, 2019

Yéva : en quête du paradis
par Zareh Arevshatian
Asbarez, 16.09.2019


Yéva, film d'Anahid Abad, débute dans l'obscurité. Il pleut. Une femme, portant un parapluie, se hâte vers un immeuble, la nuit. Elle découvre alors sa jeune fille qui l'attend. On ne comprend vraiment leur situation que quelques scènes plus tard. Elle est en fuite, mais malgré l'absence des poursuivants, le film se fait progressivement le récit de la tentative d'une femme pour échapper à la violence familiale; un récit inspiré d'histoires vraies trop nombreuses.

Nariné Grigorian interprète le rôle principal, une femme prise au piège par les circonstances et des choix personnels. Accusée par sa belle-famille d'avoir tué son mari, Yéva est contrainte de fuit Erevan avec sa fille Nareh et de se réfugier dans un petit village reculé, Dadivank, en Artsakh (Nagorno-Karabagh) où Rouben, un ami et ancien combattant, avec sa femme Sona, l'accueille à bras ouverts chez lui. La vie intime de Yéva reste cachée. On n'a qu'un aperçu de ce qui lui est arrivé et, à mesure que le récit dévoile ses secrets, le film nous met dans un état contradictoire entre optimisme et fatalisme, nous laissant dramatiquement seuls avec sa fille.

Le film peut donner l'impression de recourir aux ingrédients d'un mélodrame familial moderne, saturé de discours larmoyants et d'actes dangereux propres à l'égoïsme parental, mais les spectateurs doivent s'attendre à une affaire plus contemplative. Si le film ressemble et résonne à la manière d'une production télévisée conventionnelle, il traduit toutefois une expérience féminine très singulière. Il ne s'agit pas d'un film sur une Arménienne en cavale. Il est question de tensions familiales, l'histoire des femmes en Arménie.

Yéva est l'équivalent arménien d'Eve, personnage biblique, mais comme nous l'avons vu plus haut, le film ne la concerne pas seulement. Il s'agit des générations de femmes vivant dans une société arménienne patriarcale. Alors qu'une famille arménienne traditionnelle se contente de réagir à la volonté du destin, ici nous sommes en présence de femmes qui tentent de changer le leur. Dans ce film les femmes sont objets de réflexion et vecteurs de changement culturel et social. Les femmes de Yéva sont des survivantes.

En Arménie, la violence familiale est souvent sous-estimée, assimilée à une "affaire de famille." Ces "affaires" ne franchissent pas les limites du foyer et sont rarement signalées à la police. Par ailleurs, les hommes ont des droits de propriété et sont habituellement propriétaires du domicile familial. Se pose en outre la question de la protection et/ou de la privation des droits parentaux en Arménie et de leur traitement juridique. Même si aucune de ces questions n'est citée explicitement dans le film, elles constituent en fait l'ossature de ce drame et, c'est tout le mérite d'Anahit Abad, son film se charge de lancer, espérons-le, un courant dans le cinéma arménien, dans lequel des problèmes sociaux urgents et importants sont traités sans condescendance ni vulgarité, comme elles le sont dans les séries violentes qui inondent les chaînes de télévision.

En se focalisant sur les femmes, Abad crée un film contradictoire : un signe de bienveillance empreint de culpabilité et de célébration de la force féminine. Excepté l'officier de police chargé d'appliquer la loi, les hommes ne sont pas au centre de ce film. Ils sont présents, mais le film ne tourne pas autour d'eux. Sensibles à la cause de Yéva, ils essaient tous de lui donner un coup de main, mais finissent par échouer.

Coproduit entre la Fondation iranienne Farabi du Cinéma et le Centre National du Film d'Arménie, Yéva est la première coproduction arméno-iranienne, le premier film arménien avec une équipe de production iranienne, et le premier long métrage dirigé par une Arméno-iranienne. Issue d'une famille arménienne de Téhéran, en Iran, Anahid Abad est titulaire d'une licence d'études cinématographiques. Dans sa carrière, elle a travaillé comme première assistante réalisatrice et directrice de production dans plusieurs films iraniens. Rien d'étonnant à ce que le premier long métrage d'Abad se déroule en Artsakh, une région dont est issue sa famille paternelle.

Dans sa collaboration avec le cinéaste Hassan Karimi, Abad élabore un univers aux couleurs impressionnantes, composé presque entièrement de plans moyens, lequel saisit la convivialité des villageois et de leur quotidien sans paraître s'immiscer dans leur espace. Une tension visuelle se produit entre les plans spectaculaires des paysages entourant le village et les couleurs assourdies des intérieurs comme pour indiquer une sensation d'emprisonnement au sein d'un espace historique et ancestral. Et même si la "Guerre" est sans cesse rappelée, ressentie nettement en arrière-plan, la "famille" constitue le thème central d'Yeva.                              

Le charme du film réside en partie dans les scènes montrant la dimension communautaire du dîner, que ce soit un dîner de bienvenue ou un mariage local. Chacun sait qu'un dîner arménien est un témoignage de générosité. Nulle discrimination entre famille, amis et même les étrangers lors de ces réunions, autant de moments que saisit admirablement Anahid Abad. Néanmoins, la façon avec laquelle ces scènes agissent comme des ponts entre les moments intimes de la famille et les chocs qui s'ensuivent témoigne du talent d'Abad pour susciter un climat émotionnel bigarré, à la fois tendre et poignant. Le film ne dure que 94 minutes, mais capte avec brio les forces culturelles et sociales en jeu, faisant du village le microcosme de tout un peuple.

Yévamet en scène toute une distribution d'acteurs issus du théâtre et du cinéma arménien, livrant une galerie de portraits étonnamment neufs. Chant Hovhannissian, popularisé dans la série policière New York, unité spéciale, interprète Rouben, affable et sympathique. Les amateurs de la série Full House [La Fête à la Maison] ne reconnaîtront peut-être pas Marjan Avetissian, la propriétaire, Madame Tamara dans l'émission, en Hasmik dans le film, tandis que Rosie Avetisova, qui se produit principalement dans des feuilletons et des séries épisodiques, apparaît dans un rôle modeste, mais central dans le film. Le film compte aussi des villageois non professionnels jouant simplement leur propre rôle. Notons que l'héroïne, Narineh Grigorian, native de l'Artsakh, est la seule actrice autochtone ne parlant pas avec l'accent local. Tous les autres acteurs du film sont originaires d'Erevan, mais s'expriment dans un dialecte local.

En 2018, Yéva a vu sa participation interdite lors du Festival international du Film de Femmes - Filmmor en Turquie, à la demande du gouvernement azerbaïdjanais, sous prétexte que le film "donne l'impression que l'Artsakh est un territoire arménien." Quoi qu'il en soit, le film a remporté plusieurs prix et récompenses à travers le monde.

Représentant l'Arménie dans la catégorie du Meilleur Film Etranger aux Oscars du Cinéma 2018, Yéva est actuellement distribué par la société Venera Films, basée à New York. Une adaptation au théâtre est prévue en Amérique du Nord fin octobre 2019.

Yévasera présenté à New York le 25 octobre et à Los Angeles le 1er novembre au cinéma Laemmle Glendale, 207 North Maryland Avenue, Glendale, CA 91206. Pour plus d'informations consulter la page Facebook.1                

Note


[Zareh Arevshatian suit des études cinématographiques à Los Angeles.]
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Traduction : © Georges Festa - 11.2019



Thomas Aagaard : A la rencontre des "intrépides" drag queens de Beyrouth / Meet the 'fearless' drag queens of Beirut

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Melanie Coxxx (@melanie.cox.x.x.), Instagram, 25.12.2017


A la rencontre des "intrépides" drag queens de Beyrouth
par Thomas Aagaard
 BBC, 09.04.2018


Les mains d'Elias tremble tandis qu'il allume une autre cigarette. Il n'a jamais fait ça auparavant. Il porte une robe, des talons. Il a répété son playback. Ce soir c'est sa première sortie dans la peau de Mélanie Coxxx - son alter ego drag qu'il aime décrire comme une queen "féroce, courageuse, drôle et sexy."

Autant d'atouts dont il aura besoin ce soir - en particulier le côté courageux. Tandis qu'il fait son numéro à l'entrée, aux allures de piste, d'un de ces bars gay, à la fois rares et isolés, de Beyrouth, une foule de gens maquillés ou pas l'attend à l'intérieur. Leurs regards se posent sur Elias lorsqu'il entre.

Il est là pour se présenter au tout premier "mini-ball" du Liban, une sorte de compétition où les concurrents - des drag queens, des femmes et, plus généralement, des hommes gay - arrivent avec des perruques, des robes, de hauts talons et cintrés à la taille pour concourir dans des costumes de scène extravagants, tout en affichant leur maîtrise du playback et les tendances en vogue.

"J'ai envie de faire connaître Mélanie. J'ai envie que tout le monde parle d'elle," confie Elias.

La scène drag est en effervescence à Beyrouth, la capitale du Liban, où l'homosexualité reste en théorie illégale.

Mélanie Coxxx n'est pas la seule nouvelle drag queen ce soir. Il y a trois ans, la scène existait à peine, précise Evita Kedavra, drag queen arméno-palestinienne et membre du jury présent.

Evita, qui ne veut être citée que sous son nom de drag pour dissimuler son identité, est l'une des premières drag queens à s'être lancée dans des spectacles dans les boites de nuit de Beyrouth, il y a trois ans.

"A l'époque, personne n'avait les couilles de se produire en drag." Il se souvient de son premier spectacle, qui a rapidement circulé dans les bars gay de Beyrouth.

Depuis, le drag est passé au premier plan de la communauté gay de Beyrouth.

Il y a deux raisons à ça, nous explique Evita.

La première est qu'il est devenu plus facile d'être gay au Liban ces deux dernières années. D'après l'article 534 du code pénal libanais, toutes les relations sexuelles qui "contreviennent aux lois de la nature" sont passibles d'un an d'emprisonnement.  

Mais, contrairement aux autres pays arabes du Moyen-Orient, le Liban s'apprête à décriminaliser totalement les relations homosexuelles, grâce essentiellement à la pression grandissante des militants libanais pour les droits des LGBTQ+.

Ces dernières années, plusieurs juges ont déclaré qu'être gay ne constitue pas une violation de l'article 534.

Deuxièmement, la culture pop occidentale et son influence sur les jeunes générations qui ont grandi dans le Beyrouth d'après-guerre, note Evita.

"Quand on était gamins, on était nombreux à regarder la télévision américaine. Et quand on voit la culture occidentale accueillir des personnages drags et gays à la télévision, on s'est mis à le faire, nous aussi. Pas besoin qu'il y ait une plus grande acceptation ici - elle est là," poursuit-il.   

Il me parle en particulier de RuPaul's Drag Race, une émission très populaire de téléréalité en Amérique qui, en neuf saisons, a vu s'affronter des drag queens douées dans les domaines de la mode, du jeu d'acteur, de la chanson et du playback. En 2017, l'émission a quitté la chaîne Logo pour VH1, à l'audience bien plus large, faisant exploser sa popularité. A Beyrouth aussi.           
  
Le genre de destin dont rêve Elias quand à 23 ans il a envie de faire "connaître" Mélanie.

Elias porte une robe en tulle, d'un noir voluptueux, qui traîne dernière lui, tandis qu'il s'avance. Son petit ami, Marwan, reste deux pas en arrière pour s'assurer que personne ne marche sur la robe. Derrière lui, la mère d'Elias, Valérie, s'assied pour fumer une cigarette.

"J'ai assisté à son premier spectacle de drag à ses 14 ans. Pas ici, bien sûr, mais en Turquie," précise-t-elle, saluant d'un signe de tête l'ami de son fils à ses côtés. "Parce que je savais. Tout simplement."

Mais Valérie n'a pas toujours été aussi compréhensive comme elle semble l'être aujourd'hui. Quand Elias a fait son coming out à 19 ans, elle l'a dans un premier temps chassé de la maison familiale.  

Quand il me l'a dit ce soir-là, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je me suis dit : "Que vont penser nos voisins ? Que vont dire les gens ?" A 6 heures du matin, j'ai hurlé à mon mari : "Quelque chose de terrible vient de nous arriver ! Notre fils est mort ! Il est mort !"

Elias fut envoyé chez ses grands-parents pour y vivre quelque temps avant d'être autorisé à rentrer. Plusieurs membres de la famille de Valérie alternaient entre lui conseiller de faire soigner son fils et lui reprocher de l'avoir influencé en tant que mère.

Finalement, Valérie a coupé les ponts avec plusieurs membres de la famille, me confie-t-elle. Elle a choisi Elias.

Maintenant Valérie s'assied au premier rang de la scène qui se déroule sur un podium improvisé au milieu de ce qui constitue habituellement la piste de danse du bar. Un groupe de trois juges ont installé une table face à elle, prêts à départager les concurrents.

Tandis que Mélanie se promène sur la piste, il déchire son vêtement, morceau par morceau. Tout d'abord, le blouson noir moulant, paré de pétales dorés en forme de grand crucifix. Ensuite, la robe en tulle noir est déchirée à la taille et jetée face au public extasié.

Puis, ne portant alors qu'un corset en cuir moulant, un masque en dentelle noire couvrant tout son visage, Mélanie tourne la tête en arrière sur la piste, ouvre la bouche et laisse échapper un épais liquide rouge sang de sa bouche sur sa poitrine.

Le public est déchaîné. Mélanie est déclarée vainqueur.

Quand Elias sort pour fumer une cigarette tout de suite après, il n'arrive pas à se rappeler de sa prestation. Il est très ému.

"Je me disais que ce serait juste un spectacle, et puis que je rentrerais à la maison. Mais ça été énorme !", confie-t-il.

Le lendemain, il est retenu pour un spectacle dans un autre club et son compte Instagram enregistre plusieurs nouveaux abonnés. Finalement il doit créer un nouveau compte dédié à Mélanie Coxxx.

Quatre célèbres participants au RuPaul's Drag Race se sont rendus dans la capitale libanaise l'an dernier. L'un d'eux, Pearl, a l'impression, dit-il, de "contribuer à une révolution."

Evita Kedavra pense que les choses "vont se faire."

"Beyrouth est une toute petite ville dans un pays tout petit, et nous sommes une communauté très, très réduite. Si bien que je connaissais pratiquement tous ceux qui fréquentent les bars. Mais maintenant toutes ces queens arrivent d'un coup et je ne les connais pas ! Plus on s'affichera, plus la scène grandira !" 

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Traduction : © Georges Festa - 11.2019


Océaniques

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© georges.festa - 11.2019


Océaniques

Pris au piège. Le dallage familier. Comme autant de monts, d'aspérités. Qui t'invite à la danse. A l'oubli. Le regard serpente. Toucher du doigt. L'humide, le visqueux. Tout ce puzzle. Fait de poids secrets, d'ancrages mobiles. Secondes et millénaires. En flottaison. Les traces. De tous ceux qui t'ont précédé. Ici et là. Géographies minuscules. Grossissement de lacs, de fleuves. Pierres corps. Déposés au hasard. Charriés. Ce qui reste. Du limon. Après l'éruption. Les floraisons. Peuple d'atomes. Tapis. En immersion. Les mosaïques nébuleuses. Quand les surfaces se perdent. Chevauchements, copulations. Cortèges, fosses. Tout autour. Les trois masques. Et si les surfaces. Grilles plaquées sur le désordre. Comme pour conjurer. Le prochain soulèvement. Les vestiges urbains. Quand la mémoire fouille, reconstitue. Ce que la marée délaisse. Refuse. Au bout de la route. Reflux. Changement de formes. A l'échelle du millionnième. Camps en réduction. Lorsque la raison s'affole, domine. Les agrégats ordinaires. Mers invisibles. Tenir dans sa main. Pluies vengeresses. Nourricières. Regards du chaman. Qui devine. Epouse. Vitrail rose, gris. Terre achéropite. Qui déroule ses méandres. T'invite. Trinité noire. Dévorant le cadre. Ce déferlement. Combien d'ors. De rires. Irradié de musique. Danse avec les vivants. Sur la ligne rouge. Iconique. Car il n'est pas de sens. Quand la logique échappe. Cène paradoxale. Faite d'unions dissemblables. Stèles aux anonymes. Royaumes d'ici bas. Les résurrections. Aubes, envols. Qui ont vu. Attendu. Rassemblés. Une dernière fois. A jamais. Quand le fleuve reprendra sa course. Quand les haines et les pardons. Envers du décor. Coquilles, pieds. Ecailles, mâchoires. L'alphabet énigmatique. Notes, phrases. Mise en pièces. Comme on conjure la disparition. Nos cortèges.

© georges festa - 11.2019
musique : Gesaffelstein, Aleph, 2013 
à D.L. 

    

Memnon I

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© georges festa - 11.2019


Memnon I

Quand ils s'avancent. Ici nulle humanité. Les assemblages de fer et d'ombres. Guettant leur proie. Au bord de la rive. Les trois automates. Juchés sur leurs certitudes. Nourris de terre, de feu. Surgis des profondeurs. Ce que l'homme engendre. Nuit aveuglante. Ici nulle mesure. Ecrasements lents. Quand les juges des enfers. Pietà métallique. Bourreau insecte. Sur la proue du navire. Fendant la nuit. Plus d'amarres. Temps à venir. Où il sera question de comptes. Ce que tu as permis. Entrailles de la terre. Perfusion industrielle. Pendant que les vivants. Forages, cisaillements. La leçon d'anatomie. Quand il s'agit d'arracher. Muraille verte. Aux limites. Silhouettes encore indistinctes. Trop certaines. Les travestissements. Quelle scène se joue ici. Trinité muette. Quand l'homme ne sera plus. Bientôt l'effacement. L'oubli. Les mondes chiffrés. Enchevêtrements de fils. Corridors. Traques modernes. Les calculs silencieux. Méthodiques. Alors ils viendront. Renverser les idoles. Glaise charnelle. Racines, murs. Nos sources. S'enfoncer, se couler dans. Tu redessineras. Géographies retrouvées. Improviser la fresque. Oublier les chasses. L'entassement. Fluides. Quand les ténèbres te nourriront. Secousses. A même le sol. Trouver d'autres routes. L'autre guerre. Outre ruines. Quand les fantômes. Les odyssées. A chaque station. Ces pénitents d'ailleurs. Traînant leur fardeau. Qui se présentent au regard. Chargés de sang. Ce qu'il faudra partager. Porter. Interminables convois. Interroger. A chaque fois. A guichets clos. Quand les formes s'estompent. Portique, arc. Ou fontaine. Quand les multitudes. Les rites. Sacrifices. La partie n'est pas encore jouée. Ruses de l'histoire. Affronter ses démons. Roi, reine, cavalier. Ou fou. Le radeau à l'œuvre. Toutes amarres tues. Les trois postulations. Nos multiples.

© georges.festa - 11.2019
musique : No_4mat, neo (R U the one), 2016
à David de F.   

   
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