Karnig Panian
Goodbye, Antoura
Translated by Simon Peugekian
Stanford University Press, Redwood City, 2015
par Rupen Janbazian
The Armenian Weekly, 16.10.2015
Lorsque l'on aborde la signification des publications sur le génocide arménien lors du Centenaire de ce crime, il est essentiel de saisir l'importance et tout le prix des mémoires et des témoignages de première main. Même si leur parcours est souvent poignant, les mémoires sur le génocide s'avèrent une lecture importante pour ceux qui tentent de mieux comprendre cette atrocité.
Les récits des survivants ne permettent pas seulement aux lecteurs d'avoir un regard en profondeur sur un génocide, mais peuvent aussi être interprétés comme des actes de résistance contre la tentative d'anéantissement.
L'année 2015 voit paraître en anglais l'histoire de Karnig Panian. Panian a été longtemps enseignant et proviseur-adjoint du Lycée [djémaran] arménien de Beyrouth. Publié auparavant à deux reprises dans son arménien originel par les Presses Hamaskaïne et le Catholicossat arménien de la Grande Maison de Cilicie, Goobye, Antoura est paru en traduction anglaise aux Presses de l'université de Stanford en avril. Habilement traduit par Simon Beugekian, qui a traduit Zartonk [Զարթօնք / Réveil], de Malkhas, un classique du roman arménien, récemment publié en anglais (1), la publication de Goodbye, Antoura [Adieu Antourah] rend pour la première fois le récit de Panian accessible à un public plus large, anglophone - un événement longtemps attendu. Via cette parution, l'histoire de Panian s'ajoute à une longue liste de mémoires de survivants, faisant office de preuve historique face au déni continu du génocide arménien.
Grâce à l'introduction et à la postface du professeur Keith Watenpaugh, les lecteurs sont en mesure de situer l'histoire de Panian dans le contexte plus large du génocide arménien et de la Première Guerre mondiale, tandis que l'émouvante préface du docteur Vartan Gregorian souligne la signification des mémoires pour ne jamais oublier les souffrances qu'endurèrent les survivants du génocide.
Panian est né à Gurin (actuellement Gürün, en Turquie) en 1910. Au début du livre, le lecteur est transporté dans l'univers de Panian, fait de cerisiers et d'une enfance heureuse dans son village natal, la terre prospère d'un peuple travailleur, au sein d'une famille dynamique. Le tableau du Gurin d'avant 1915 que livre Panian tient d'un paradis ; une sorte de jardin d'Eden, vu à travers le regard d'un enfant de cinq ans, totalement plongé dans la vie arménienne et élevé dans le culte de sa famille et des siens. Le Gurin de Panian est juxtaposé au perfide désert de Syrie et à l'orphelinat d'Antourah, au Liban - dont il subira les horreurs peu après.
La description par Panian des épreuves qu'il traverse dans le désert syrien, aux mains des soldats turcs, est des plus dérangeante. Même s'il n'était qu'un gamin à l'époque des déportations, il est capable de se souvenir et de donner en détail une image sinistre du désespoir physique et émotionnel qu'il dut, comme tant d'autres, endurer. "Ces gens, qui quelques semaines plus tôt seulement, menaient une existence prospère, vivaient chez eux, priaient dans leurs églises, travaillaient aux champs et aidaient les moins chanceux, étaient devenus une race de semi-cadavres décharnés. Telles des plantes déracinées et rejetées, ils mouraient désormais à petit feu, se flétrissant,"écrit-il, relatant sa marche forcée à travers le désert aux côtés de sa mère, de sa sœur et de son grand-père.
Suite à la mort des membres de sa famille dans un camp de réfugiés, Panian est conduit à l'orphelinat d'Antourah, où des enfants arméniens survivants furent systématiquement et brutalement conditionnés pour être élevés en tant que Turcs. Cet orphelinat - qui faisait office de foyer de turcisation - était une idée de Djémal Pacha, l'un des architectes du génocide arménien. Là, les jeunes orphelins étaient totalement déshumanisés et dépouillés de leur patrimoine culturel et ethnique, se voyant attribuer des noms turco-musulmans et élevés dans le sentiment qu'être Arménien était une tare. "Nous étions tous humiliés, on nous rappelait qu'être Arménien était un crime,"écrit Panian dans les pages qu'il consacre à l'orphelinat.
Entre 1915 et 1918, sur les 1 200 orphelins arméniens d'Antourah, 300 moururent du fait des conditions déplorables de famine, de maladies et des mauvais traitements. En dépit de ces horreurs, Panian ranime son lecteur, rappelant la volonté désespérée des orphelins de s'accrocher à leur identité arménienne. "Cela faisait trois ans que nous avions été transférés à l'orphelinat et, de toute évidence, la tentative de l'administration pour nous turciser était un échec complet. Lorsque nous tenions tête aux maîtres ou au directeur, nous ne nous sentions jamais seuls. Nous ne faisions qu'un, luttant tous ensemble."
Panian décrit une bande de gamins qui, à une époque des plus sombre et désespérée, parvient à supporter et à tenir bon grâce à leur esprit de camaraderie. "A Antourah, nous combattions un ennemi désireux de détruire notre identité. Nous n'avions ni mères, ni pères, ni même de bons maitres et éducateurs, pour nous transmettre leur sagesse. Les plus grands étaient nos modèles. Nous leur donnions la réplique, réalisant qu'ils faisaient de leur mieux pour être de bons exemples. Ils nous encourageaient à maintenir notre langue en vie, prier notre Dieu et ne jamais oublier que nous étions Arméniens,"écrit Panian.
Bien que parfois des plus sombre, le périple de Panian vers son salut et sa mutation finale en intellectuel et éducateur responsable au sein de la diaspora arménienne représente une aventure empreinte d'espérance, de courage et d'optimisme. Ses descriptions des horreurs qu'il fut contraint de vivre, couplées à l'espoir des promesses d'une vie nouvelle après Antourah, font de la traduction anglaise de Goodbye, Antouraun ajout précieux à la bibliothèque déjà riche des mémoires sur le génocide, donnant la parole aux survivants.
Dans Goodbye, Antoura, Panian déclare que l'empire ottoman "mit en œuvre silencieusement son programme génocidaire face à l'indifférence du monde." Un siècle plus tard, difficile pour le monde de rester indifférent à une histoire à laquelle ses mots redonnent vie si brillamment.
NdT
1. Malkhas [Ardachès Hovsépian]. Awakening. Translated by Simon Beugekian. Sardarabad (Glendale, CA), 2015, 3 vol. L'ouvrage parut en arménien en 1933.
[Rupen Janbazian est co-éditeur du magazine Ardziv. Diplômé de l'université de Toronto, où il a suivi un double cursus en Histoire et en Civilisations du Moyen-Orient, il a exercé au sein de plusieurs instances locales et nationales de l'Armenian Youth Federation (AYF) du Canada et de l'Association Hamaskaïne de Toronto et est membre du Conseil d'administration de l'Armenian National Committee (ANC) de Toronto. Janbazian enseigne aussi l'histoire de l'Arménie et anime des ateliers d'écriture à l'Armenian Private School (Armenian Relief Society - A.R.S.) de Toronto.]
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Traduction : © Georges Festa - 10.2015