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Les tapis arméniens : forme précieuse de communication artistique / Tappeti armeni : preziosa forma di comunicazione artistica

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Tapis au dragon arménien [vichapagorg], 243 x 162 cm, Karabagh (Artsakh), 19ème siècle
© https://commons.wikimedia.org/


Les tapis arméniens : une forme précieuse de communication artistique
par Letizia Leonardi
Akhtamar on line (Rome), n° 290, 15.09.2019


        Un des symboles importants associé à l'Arménie est représenté par les tapis. Depuis l'Antiquité, les marchands qui arrivaient de cette lointaine terre d'Orient, entre autres marchandises dont ils faisaient commerce, avaient de précieux tissus décorés grâce à la technique particulière du nouage réalisé uniquement à la main sur des métiers, verticaux ou horizontaux.

        Quand on pense aux tapis, les plus connus qui se présentent à l'esprit sont les persans, mais l'on peut dire sans risque de se tromper que, si les persans sont plus connus, les arméniens sont plus anciens. Ils remontent même au début de la conversion de l'Arménie au christianisme, advenue en 301. Il s'agissait d'un objet d'usage courant, mais en raison des dessins particuliers qui les décoraient, ils sont devenus aussi une forme d'expression artistique. Symboles floraux, animaux ou végétaux, mais aussi autres comme la roue, la croix, représentations de la vie et même la svastika qui n'avait pas, à l'époque, le sens négatif qu'elle a pris, plusieurs siècles ensuite, associée au nazisme. Décors qui s'appuyaient sur les pétroglyphes d'Oughtassar, une région de l'Arménie centrale, datant du 5ème siècle avant notre ère. Mais ce n'est pas tout, les tapis arméniens comportaient des dessins qui rappelaient aussi ceux de l'Occident, inspirés principalement de l'héraldique. Le symbolisme des tapis arméniens est décidément plus soutenu comparé à celui des peuples islamiques voisins, lesquels contenaient surtout des formes géométriques et ornementales. Et dans les décors des tapis du peuple de la terre de Haïk l'on peut noter aussi des similitudes avec les magnifiques reliefs des khatchkars. Il n'est pas rare aussi de voir apparaître sur les tapis arméniens l'aigle double du Caucase, symbole de puissance depuis l'époque de Constantin et, pour le monde chrétien, symbole de l'Ascension du Christ et lumière spirituelle de la victoire sur le mal.

        L'on peut identifier plusieurs types de tapis arméniens. Le tapis Gohar, appelé aussi "à dragon," qui a pris le nom de l'Arménienne qui l'a créé en 1680. La figure du dragon est souvent double : deux dragons, dos à dos, qui symbolisent le bien et le mal vaincu par les dieux. Selon le symbolisme chrétien le dragon est le maléfique vaincu par l'archange Michel, puis précipité aux enfers, tant il est vrai que les dragons crachent souvent le feu. Bien qu'en Orient il soit aussi considéré comme un symbole de chance, capable de produire l'élixir de l'immortalité.

        Dans les tapis arméniens postérieurs au 17ème siècle, l'on peut aussi noter des médaillons centraux et angulaires avec des rayons appelés "aigles" par les mêmes tisserands. Souvent, au centre du médaillon, d'obscures flèches représentent le disque solaire. Le fond est généralement rouge et les couleurs vives. Ces tapis ont pour provenance la province de l'Artsakh, en particulier Chouchi. Mais d'autres animaux peuvent aussi compléter la décoration, notamment le phénix en lutte, le lion, etc. Dans les bordures, l'on relève souvent des arabesques et des palmettes, des motifs de feuilles et des fleurs alignées ou tendant vers le haut. La fleur, symbole de la jeunesse, signifie l'énergie, la joie de vivre, la fin de l'hiver et la victoire sur la mort. Une même signification était attribuée au soleil. Mais de l'Artsakh sont aussi originaires les tapis au serpent, un animal au sens ambigu, puisqu'il représente aussi bien la vie que la mort. Les légendes populaires disent que le serpent, avant de boire l'eau de la source, laisse le venin dans son abri afin de maintenir l'eau pure. La composition de ce genre de tapis est représentée par de grands médaillons disposés à la verticale avec des svastikas au centre. Le carré contenant la svastika est entouré de huit serpents. Et ce afin de signifier la création de l'univers protégé des serpents par des figures humaines, des animaux, des oiseaux, des outils de travail, comme pour symboliser la présence de la vie et du quotidien. Les couleurs qui dominent la plupart du temps sont le rouge, le bleu sombre, le violet intense et le jaune clair. Le bord extérieur est généralement caractérisé par un motif floral.

        Autre type de tapis arménien, celui tissé avec les motifs des étoiles et des croix, une décoration qui a été utilisée dans tout le Caucase, mais qui rappelle les carrelages en mosaïque remontant au 8ème siècle après notre ère en Arménie, en Syrie et en Cilicie. L'explosion des étoiles représente la vie et la croix symbolise l'homme avec les bras ouverts. L'on peut admirer des exemples de ces tapis dans nombre d'églises arméniennes. Ce n'est pas un hasard si, dans la littérature qui traite de l'architecture religieuse arménienne, l'on peut dire : "plan en croix arménienne, tétraconque en croix arménienne."

        Longtemps, du fait des invasions et des persécutions incessantes, la majeure partie des centres de nouage des tapis arméniens fut détruite. Le seul centre de fabrication de tapis noués dans toute la région du sultanat de Konya, semble être Erzéroum. En Arménie orientale au contraire, ce sont les centres de Dvin, Tabriz et la région du Chirvan. Les Arméniens ont toujours éprouvé le besoin d'avoir quelque chose qui les représente et, à travers les décors des tapis, ils affirmaient ainsi leur identité, un type de langage, une autre façon de transmettre aussi leur religiosité. Il ne s'agissait pas seulement de tapisseries que l'on pouvait fouler, mais d'icônes faites de tissu. De fait, si l'on visite des églises arméniennes, l'on peut remarquer que le sol est recouvert de tapis, principalement aux abords de l'autel.

        Les tapis arméniens portent souvent le nom de la localité où ils ont été réalisés et même des ateliers de tissage. En Italie aussi ont existé des manufactures de tapis arméniens : à Bari, à Oria et en Calabre. De nombreux ouvrages mentionnent les tapis arméniens, dont l'usage pour la prière a précédé la coutume musulmane. Notamment le livre de Volkmar Gantzhorn, paru à Cologne en 19901, qui nous fait découvrir les matériaux utilisés pour le tissage, les couleurs naturelles d'origine végétale, l'utilisation de symboles de la tradition arménienne, les techniques de tissage, les secrets du métier transmis de mère en fille, les particularités chromatiques, de conception et la composition artistique des tapis chrétiens arméniens. Si l'on va à Erevan, l'on peut admirer quelques exemples très anciens au musée de l'Histoire de l'Arménie, ainsi qu'à l'exposition permanente du musée de l'Histoire de la ville d'Erevan; et en Italie au musée Bardini de Florence.                


Note

1. Volkmar Gantzhorn, Der christlich orientalische Teppich: Eine Darstellung der ikonographischen und ikonologischen Entwicklung von den Anfängen bis zum 18. Jahrhundert, Köln : Benedikt Taschen, 1990 - Traduction française par Francine Evéquoz (Taschen, 1991).

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Traduction : © Georges Festa - 11.2019



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