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Nar-Dos, Mélodieux accords / Gentle Chords - Arpiar Arpiarian, Le Bracelet en or / The Golden Bracelet - Mouratsan, Les Riches s'amusent / The Rich Amuse Themselves - Yervant Odian, Le Bienfaiteur de la nation / The National Benefactor

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Arpiar Arpiarian (1851-1908) © Simon Kapamadjian, Gamer: P̕ok̕rik č̣ambordë Arewelk̕i mēǰ, 1911
Mouratsan [Krikor Ter-Hovannessian] (1854-1908) © https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Muratsan1.jpg
Yervant Odian (1869-1926) © https://hy.wikipedia.org/wiki


Nar-Dos [Նար-Դոս] [Mikael Hovannissian] (1867-1933), Mélodieux accords
Arpiar Arpiarian [Արփիար Արփիարեան] (1851-1908), Le Bracelet en or
Mouratsan [Մուրացան] [Krikor Ter-Hovannessian] (1854-1908), Les Riches s'amusent
Yervant Odian [Երվանդ Օտյան] (1869-1926), Le Bienfaiteur de la nation

par Eddie Arnavoudian
Groong, 27.01.2000


1.

Nar-Dos (Mikael Hovannissian, 1867-1933) est une figure littéraire intéressante, bien qu'il soit souvent négligé au profit de Chirvanzadé, moins accompli. Le talent de Nar-Dos est évident dans une nouvelle de ses débuts, intitulé Mélodieux accords. Les personnages sont bien campés et, au fil de l'intrigue, en viennent à incarner ces conflits pérennes entre les exigences de la morale sociale et familiale d'une part, et l'"esprit libre" de l'amour et du désir qui habitent l'être humain de l'autre.

L'existence de Stépanos Harounian est assaillie par ce genre de conflits. Père de famille aisé, honnête et vertueux, il a une jeune fille et une épouse qu'il chérit. Il mène une existence honorable, mais assez terne. Jusqu'à l'arrivée de Sophie, dont la beauté tentatrice et sensuelle le fascine tout de suite. De son côté, Sophie, hautaine, dominatrice et égoïste, vit pour la première fois ces émotions plus vives et plus douces que fait naître un amour sincère. Dans le silence d'une passion naissante, Stépanos est déchiré entre son désir ardent pour Sophie et son sentiment de loyauté envers son épouse Nune et leur fille. Il tente, sans y parvenir, d'oublier cet amour. Par un rebondissement singulier, tout autre de ce à quoi l'on attendrait dans une histoire toute romantique, la vie familiale de Stépanos est sauvée non par sa générosité, mais par celle de Sophie.

Découvrant l'amour, Sophie commence à réaliser les sentiments, les espoirs, les joies et les peines d'autrui. Elle pressent alors la souffrance que causerait à l'épouse de Stépanos la poursuite de sa liaison avec lui. Elle abandonne donc son amant et quitte Tbilissi. Le règlement de ce conflit n'est toutefois pas entièrement satisfaisant. Il n'est le fruit que de la volonté et de la force d'un seul. Chose incroyable, les personnages ne sont en rien influencés par la morale puissante et conservatrice au plan social qui dominait la vie des Arméniens au 19ème siècle à Tbilissi, où se situe le roman.

Quoi qu'il en soit, Mélodieux accords aborde certaines vérités de l'existence. La famille est préservée. Mais personne n'est heureux, ni Stépanos, ni Sophie, ni Nune qui a vent de cette liaison. Nar-Dos exprime de façon saisissante et neuve cette réalité qu'il ne saurait y avoir de fin heureuse à ce conflit entre une forme étouffante d'existence familiale et la promesse d'un bonheur et d'un amour transcendant la famille.

2.

Le Bracelet en or d'Arpiar Arpiarian (1852-1908) reste à ce jour un petit bijou littéraire. Typographe arménien à Bolis (Constantinople), fier de son état, Ghougas se met en tête de marier sa belle-fille bien-aimée, Armig. Or chaque centime de ce qu'il gagne est comptabilisé pour les nécessités du quotidien. Pour s'assurer d'un mariage fructueux, il doit s'endetter, tandis que son épouse Rose et Armig sont obligées de faire plus de lessives. Alors qu'il s'apprête de bonne grâce à subir d'autres privations, pour le bonheur de son Armig chérie, Ghougas perd son emploi. Il est jugé trop vieux, trop lent, sans comparaison avec des assembleurs plus jeunes et plus rapides.

Persuadé néanmoins de retrouver du travail, Ghougas met en gage la dot précieuse d'Armig - douze actions de la compagnie des chemins de fer de Bolis - afin de couvrir les frais des préparatifs du mariage. Mais le fiancé d'Armig découvre que ces actions manquent au coffre de la famille. Il rompt alors les fiançailles. Après tout, il n'avait consenti à ce mariage que par égard pour la dot. Vendre ces actions lui aurait permis d'ouvrir un magasin dans un quartier chic de Bolis.

A travers cette histoire, Arpiarian reconstitue la rude et pénible existence des artisans arméniens de Bolis, traités comme des moins que rien par leurs employeurs. Méprisés et regardés de haut par les nantis et les puissants en place. Même l'intelligentsia éduquée se montre indifférente à leurs épreuves. Dans une scène puissante, Ghougas aborde le grand écrivain Yéghia Démirdjibachian. Il lui demande pourquoi aucun écrivain arménien n'écrit ou ne fait l'éloge de l'humble artisan arménien. Ne contribuent-ils pas eux aussi, lui demande-t-il, au progrès de la nation arménienne ? Comment le maître arménien enseignerait-il, comment l'écrivain arménien publierait-il sans le labeur du typographe arménien ? Démirdjibachian semble l'écouter attentivement, avec bienveillance. Mais Ghougas est amèrement déçu de découvrir qu'en dépit de cet accord apparent, Demirdjibachian ignore totalement dans ses œuvres à venir ses appels à une quelconque reconnaissance.

Ecrit en arménien, l'ouvrage souffre d'un abus de termes turcs, Arpiarian pensant par là rendre de façon réaliste couleur locale et dialecte. Quoi qu'il en soit, il écrit avec brio et finesse. Fin observateur, il parvient à rendre l'essence d'une situation sociale en ne décrivant qu'un ou deux détails significatifs. La cupidité, la rapacité et l'égoïsme du fiancé sont superbement rendus, bien supérieur aux personnages plus centraux de Ghougas, Rose ou Armig. Ce qui est néanmoins compensé par l'évocation précise et éclairante du cadre, des relations et de la psychologie sociales.

3.

Les Riches s'amusent de Mouratsan (Krikor Ter-Hovannessian, 1854-1908, sans lien avec Nar-Dos) est une nouvelle très éclairante, bien que manquant de profondeur et de portée. Faisant le récit du destin d'Elena, une jeune et simple paysanne abusée et séduite par le riche et jeune Samuel, Mouratsan dépeint l'indifférence, l'égoïsme et l'hédonisme grossier de la classe aisée des Arméniens de Tbilissi avant 1914. Ecrite sur un ton passionné, la souffrance d'une existence corrompue et détruite par l'égoïsme et l'hypocrisie est rendue avec art. La résistance humaine de toujours à la tragédie personnelle est bien saisie dans l'une des dernières scènes, lorsqu'Elena lance par défi une lanterne en feu sur Samuel.

4.

Le Bienfaiteur de la nation de Yervant Odian (1869-1926) est une délicieuse satire. A l'aide de son arménien aisé et simple (aisé à lire - pour ceux qui tentent d'apprendre notre belle langue), Odian montre comment les riches ne mettent jamais la main au portefeuille, quand il s'agit de bâtir des écoles, des centres communautaires, des hôpitaux, etc. Ils se contentent de pousser les autres à donner leur argent. Les riches ne comblent, et encore de mauvaise grâce, que les manques éventuels. Ils y gagnent néanmoins le prestige recherché de "bienfaiteur de la nation," courtisés par la presse et une foule de parasites intéressés. Comme le note Odian, ces bienfaiteurs demeurent d'"honnêtes gens" : ils appliquent simplement les principes du marché, tout en cherchant à obtenir le titre de bienfaiteur de la nation au moindre prix...    


[Diplômé d'histoire et de sciences politiques de Manchester (Angleterre), Eddie Arnavoudian a collaboré à Haratch (Paris) et Naïri (Beyrouth). Ses études paraissent aussi dans Open Letter (Los Angeles).]  
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Traduction : © Georges Festa - 08.2017
Avec l'aimable autorisation d'Eddie Arnavoudian.

 


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