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Ramón Muñoz - Señor de Madrid

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© Ediciones Pàmies, 2015


Quand le roi de Petite-Arménie était seigneur de Madrid
par Ramón Muñoz



[Auteur reconnu de science-fiction, plusieurs fois primé, Ramón Muñoz est passé en 2012 au roman historique. Depuis lors, avec trois romans à son actif (La tierra dividida, El brillo de las lanzas et Señor de Madrid, tous publiés par les éditions Pàmies en Espagne), il est un représentant important du genre : toujours en quête d'histoires et de cadrages différents. Dans sa dernière œuvre, Señor de Madrid, Ramón part d'une anecdote historique, en marge de l'Histoire, pour reconstituer de manière vivante une traversée de la politique globale de l'Europe dans ce transcendantal 14ème siècle. Je l'ai prié de nous écrire l'histoire de ce passionnant et méconnu personnage historique, objet de cette anecdote, et il a accepté...] (David Yagüe - blog XX Siglos, 28.06.2016)  

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Parmi les nombreuses anecdotes et faits curieux qui jalonnent l'histoire de Madrid, il n'en est guère de plus frappants que la brève période durant laquelle elle fut la capitale d'un royaume qui, à cette époque, avait déjà cessé d'exister et qui, de toute manière, se trouvait à des milliers de kilomètres de là.

Le fait ne serait probablement qu'une simple curiosité, tout au plus, s'il ne relevait d'une des histoires les plus fascinantes du Moyen Age tardif, laquelle a permis en outre d'attester que les Croisades, comprises comme l'intention de reconquérir Jérusalem et les territoires adjacents, étaient un rêve qui n'intéressait plus l'Europe.

Mais commençons par le début. Ou par un final, pour être exact le final du royaume de Petite-Arménie ou Nouvelle-Arménie, fondé par des réfugiés arméniens dans le golfe d'Anatolie, à cheval entre le sud de la Turquie actuelle et le nord de la Syrie actuelle (ou ce qu'il en reste). Première principauté indépendante de Byzance, puis royaume de plein droit grâce au roi Henri II de Jérusalem, ce petit Etat survécut comme il put durant les siècles suivants, tandis que les royaumes latins d'Orient disparaissaient un à un. Mais ce fut aussi au tour de la Petite-Arménie de connaître l'extinction. En l'an 1375 les mamelouks égyptiens en finissent avec ce dernier réduit chrétien, profitant en grande partie des dissensions internes qui l'avaient rendu presque ingouvernable. Les conquérants promirent à leur roi, Léon V, un sauf-conduit qui n'était qu'une amorce, afin d'obtenir la reddition du dernier de ses châteaux-forts. Peu après, Léon V est emprisonné et envoyé au Caire, où il vivra les années suivantes transformé en un symbole vivant du triomphe du sultan.

Il convient de marquer ici une pause pour étudier les origines de Léon V, qui appartenait à l'une des familles les plus célèbres du Moyen Age. Nous voulons parler de la lignée française des Lusignan, qui affirmait descendre de la fée Mélusine, mi-femme mi-serpent, laquelle aurait bâti pour son époux le fabuleux château de Lusignan, l'un de ceux qui gardaient la section française du Chemin de Compostelle. Parmi les membres les plus illustres de la famille l'on compte Guy de Lusignan, qui fut tout d'abord roi consort de Jérusalem, puis roi de Chypre. Dès lors, les Lusignan furent rois de Chypre et, à partir de la moitié du 14ème siècle, rois d'Arménie aussi. Or l'existence des Lusignan qui régnèrent sur l'Arménie fut des plus orageuse, abondant en conspirations de palais qui menaçaient sa situation et son existence. Léon V dut batailler durement pour réclamer le trône qui lui revenait par droit de naissance, mais son combat se révéla vain; à peine un an après avoir obtenu sa couronne, le royaume qui la lui avait accordée disparut.

La vie de Léon V d'Arménie se déroulait dans une triste indifférence au Caire, interrompue à l'occasion par la visite de quelque pèlerin en Terre Sainte, lorsqu'eut lieu la rencontre qui bouleversera son existence; deux moines franciscains lui rendent visite et à l'instant cette brève rencontre aboutit à tout autre chose. Les moines restent auprès de Léon V et l'un d'eux, Juan Dardel, se fait tout d'abord le secrétaire et le confesseur de Léon V, puis son ambassadeur. Son objectif ? Voyager en Europe et convaincre un de ses souverains de payer la rançon qu'exigent les mamelouks en échange de la libération de Léon V d'Arménie.

Les deux religieux quittent Le Caire à la fin de l'année 1379, traversant la Méditerranée jusqu'à Barcelone, où ils sont bien accueillis par Pierre IV d'Aragon, sans toutefois en obtenir plus que des promesses. En Castille, néanmoins, le résultat de leurs instances est tout autre. Malgré les nombreux problèmes qui assaillent Jean Ier de Trastamare (Grand Schisme d'Occident, révolte de son demi-frère Alphonse-Henri, conflit avec le Portugal...), le monarque écoute Dardel et accepte de porter secours à celui qu'il considère peut-être comme un compagnon dans l'adversité. Grâce à son aide, les moines peuvent retourner en Egypte, munis de présents et de lettres de supplique pour le sultan, qui accepte d'accorder la liberté à Léon V.

A cette époque, les communications étaient beaucoup plus lentes et  risquées. Ce fait et le temps passé par ses ambassadeurs dans les Cours de la péninsule ibérique explique que la libération de Léon V d'Arménie intervient presque deux ans après le départ des religieux en quête d'une aide. Il faut attendre l'année 1383, lorsqu'il arrive en Castille pour remercier son bienfaiteur, coïncidant avec un événement qui allait changer pour toujours l'histoire de la péninsule ibérique : le mariage de Jean Ier et de la très jeune Béatrice de Portugal, où fut aussi présent le futur antipape Pierre de Lune (Pedro Martinez de Luna). Malgré la barrière de la langue, Léon V sut se gagner ensuite la sympathie de l'infortuné roi de Castille, une affection qui ira au point que Jean Ier de Trastamare jugea insuffisants les efforts qu'il avait déjà consentis en sa faveur et décida d'accorder à Léon de Lusignan une rente à vie et la possession de trois villes riches : Madrid, Andújar et Villareal (actuellement Ciudad Real).

La générosité de Jean Ier envers un parfait inconnu est remarquable, tout comme la mentalité curieuse de cette époque, qui permettait à un roi d'offrir trois villes comme on offre une bague. Naturellement, personne n'aurait demandé leur avis aux habitants de ces trois villes, qui du jour au lendemain devinrent sujets d'un étranger dont ils ne savaient rien. Heureusement pour eux, Léon V s'abstint de s'immiscer dans leurs affaires ou de leur imposer de nouveaux impôts, tout occupé qu'il était à parcourir l'Europe à encourager une croisade qui lui permettrait de recouvrer cette Arménie perdue, à laquelle il ne renonça jamais. Les Madrilènes profitèrent de ce manque apparent d'intérêt, obtenant de Jean Ier la promesse que la cession de Madrid ne durerait que jusqu'à la mort de Léon V. Ce qui fut le cas. A la mort du roi d'Arménie en exil, Madrid retourna à la Couronne dont elle avait été séparée durant quelques années pour poursuivre son évolution qui l'amènera à devenir la capitale de l'Espagne, deux siècles plus tard.

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Traduction de l'espagnol : © Georges Festa - 07.2016



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