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Robert Aram Kaloosdian - Tadem, My Father's Village: Extinguished during the 1915 Armenian Genocide

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 © Peter E. Randall, 2015


La destruction du village ottoman de Tadem
par Aram Arkun


WATERTOWN, Massachusetts - Avocat à succès depuis plus de cinquante ans et figure active de la communauté arménienne des Etats-Unis, Robert Aram Kaloosdian a grandi avec ses parents, qui ont tenté de le protéger, en partie du moins, de la pleine nature du sort des Arméniens de Tadem, le village de son père, dans la province de Kharpert (Harpout) de l'empire ottoman. Et pourtant il y a pensé, des années durant. Grâce à ses recherches, il a recomposé une microhistoire des événements survenus à Tadem de la fin des années 1880 aux années 1920, qu'il publie sous la forme d'un livre, Tadem, My Father's Village: Extinguished during the 1915 Armenian Genocide [Tadem, le village de mon père : anéanti durant le génocide arménien de 1915] (Portsmouth, NH: Peter E. Randall Publisher, 2015). Il s'agit d'un exposé émouvant et bien écrit des événements de plus en plus violents et destructeurs de cette période finale de l'existence de cet ancien village arménien, du point de vue des Arméniens de Tadem.

Kaloosdian écrit : "Mon objectif est de préserver la mémoire de ce village, de documenter son existence et de montrer que les survivants se souviennent de ce qui s'y est passé" (p. xiii). Il s'est appuyé sur des entretiens oraux qu'il a eus avec son père et de nombreux autres survivants âgés, ainsi que sur leurs comptes rendus écrits, publiés plus tôt et inédits, dont des lettres et des mémoires. Il a aussi utilisé des entretiens en histoire orale menés par d'autres Arméniens.

Après avoir livré un rapide tour d'horizon, l'A. en vient directement aux événements des massacres hamidiens de 1895, qui prirent la forme de massacres, de pillages et de viols à Tadem. Sur une population totale d'environ 2 000 habitants, il y eut 270 victimes. Le gouvernement ottoman, souligne-t-il, ne fut pas seul responsable de ces crimes : "Le problème, dans le village de mon père, comme dans des centaines d'autres villages et villes qui furent pillés et incendiés, et dont les habitants furent massacrés par milliers, c'était le mafieux local, couvert par les autorités ottomanes pour terroriser, spolier et soumettre les Arméniens" (p. 28). Ce Turc, Hadji Bego, et sa famille, continueront de jouer un rôle majeur dans la destruction du village, vingt ans plus tard.

Le climat de peur et de dénuement créé par les massacres de 1895 permet à Hadji Bego de continuer à dominer l'existence du village durant les décennies qui suivent. Quelques Arméniens émigrent en Amérique pour gagner de l'argent, tandis que le rétablissement en 1908 de la Constitution ottomane n'apporte guère de soulagement aux Arméniens du lieu. De fait, les tensions s'exacerbent entre Arméniens et Turcs, lorsque les Arméniens se sentent libres de s'organiser au plan politique.

Les Arméniens commencent à être enrôlés dans l'armée ottomane, que les Arméniens de Tadem ne semblent pas, en général, porter dans leurs cœurs. Lorsque la Première Guerre mondiale débute, plus de 30 Arméniens de Tadem rejoignent l'armée. D'autres sont envoyés avec leurs bœufs et leurs charrettes aider à transporter des fournitures. La plupart seront tués par des soldats ou des gardiens turcs, et seul un petit nombre revint.

Début avril 1915, des soldats et des gendarmes ottomans se présentèrent au village en quête d'armes. La plupart des Arméniens de Tadem n'en possédaient pas, et pour éviter d'être maltraités, furent obligés d'acheter des fusils à des musulmans locaux pour les remettre aux gendarmes. De nombreux villageois furent torturés, et 12 hommes, réputés avoir avoué, furent arrêtés et incarcérés ainsi qu'un prêtre et sept hommes âgés. Ils furent tous finalement tués.

Puis, au début du printemps, près de 200 hommes furent emmenés par les soldats. Mis à part les plus âgés et les plus jeunes, emmenés par erreur, tous furent mis à mort. Lors d'une seconde vague, plusieurs centaines d'autres hommes furent emmenés et liquidés.

Privés de chefs, le reste des villageois fut déporté le 3 juillet, tandis que certains Arméniens plus jeunes furent autorisés à se convertir à l'islam et à rester dans des familles turques. Les Kurdes voisins profitèrent de la situation et accaparèrent butin, ouvriers et épouses. Le parrain local de Tadem, Hafiz, le fils de Hadji Bego, exigea une pièce d'or en plus des femmes en chemin, avant qu'elles ne quittent sa zone d'influence. Tandis que les Arméniens de Tadem marchaient, ils étaient exposés aux massacres et dépouillés de tout ce qu'ils avaient réussi à conserver. Ils continuèrent, privés de nourriture, d'eau et même de vêtements. Des femmes abandonnèrent leurs enfants en route, n'ayant plus la force de les porter. A l'occasion, des Turcs et des Kurdes arrachaient de force aux Arméniens les enfants qui leur plaisaient.

Sur le dernier convoi de 300 personnes parti de Tadem, à peine 25 Arméniens survécurent et se retrouvèrent à Deir-es-Zor. Parmi eux, cinq femmes de Tadem réussirent à tisser des liens d'amitié avec quelques Arméniens débrouillards d'Adapazar et gagnèrent l'Irak. Grâce à leur aide, elles arrivèrent finalement à Mossoul, alors occupée par les Anglais, ce qui mit fin à leur captivité.

Quelques garçons, dont Boghos, le père de Kaloosdian, restèrent dans des familles musulmanes locales dans la région de Tadem, travaillant à leur service dans l'agriculture. Ce que firent aussi quelques Arméniennes. Jaloux de la richesse des Turcs de Tadem, obtenue grâce au travail de ces Arméniens, des Turcs des villages environnants obtinrent du gouvernement d'organiser la déportation de ceux qui étaient restés. Entre 200 et 250 personnes - enfants, femmes et personnes âgées - furent emmenées, tandis que quelques Arméniens, comme Boghos, le père de Kaloosdian, réussirent à se cacher et à éviter d'être capturés. Le convoi fut massacré à seulement une journée de marche de Tadem, dans un profond ravin isolé, par des gendarmes locaux et une foule nombreuse, en colère, de Turcs venus des villages avoisinants. Seule une poignée parvint à survivre. Moins de 200 Arméniens continuèrent à vivre à Tadem jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, la plupart comme serfs ou employés dans des familles turques.

Les Turcs détruisirent les deux églises, ainsi que l'école de Tadem, et changèrent le toponyme en Kala Koy. Puis des immigrés musulmans, originaires d'Alashgerd, furent amenés au village à l'automne 1915. Ils restèrent jusqu'au printemps 1916 et furent remplacés par des Kurdes venus de Van. Episodiquement, le gouvernement envoyait des gendarmes à la recherche des derniers Arméniens pour les déporter ou les tuer. Les Turcs de Tadem, qui avaient besoin des Arméniens comme force de travail, obligèrent les garçons à se convertir à l'islam et les firent circoncire. Ils continuèrent à travailler aux champs sans être payés.

L'ouvrage est divisé en trois chapitres. La première partie, la plus large, concerne la vie à Tadem et le génocide arménien, évoqué plus haut. La seconde décrit la fuite de Boghos, le père de Kaloosdian, à travers le plateau montagneux du Dersim, peuplé majoritairement de Kurdes, en 1917 jusqu'à Erzindjan, une ville située dans la zone sous occupation russe, au nord du Dersim. Les Russes et les Arméniens se retirèrent de cette région en 1918. Boghos participa à la défense de la ville d'Erzeroum, dont les Ottomans s'emparèrent, provoquant son évacuation précipitée par les Arméniens. Boghos se retrouva à Tiflis et, de là, décida de partir en Amérique, où il avait de la famille. Il prit le Transsibérien de Samara à Vladivostok avec son ami Hovannès Der Hovannessian, puis rejoignit par bateau Yokohama et, de là, Seattle.

La troisième partie relate sa vie aux Etats-Unis. Boghos et deux autres amis arméniens arrivèrent à Seattle le 23 août 1919, et prirent rapidement un autre grand chemin de fer, le Trans-Continental Railway, à travers les Etats-Unis jusqu'à Boston. Il retrouva deux frères aînés et un cousin à Providence, puis commença à travailler dans leur confiserie. Boghos partit ensuite à Watertown, dans le Massachusetts. Kaloosdian livre quelques aperçus sur l'entraide et la vie des Arméniens de Tadem aux Etats-Unis, dont les sections de la Fédération Révolutionnaire Arménienne et du Parti libéral démocratique arménien, qui faisaient office de foyers de la vie communautaire arménienne à Watertown. Kaloosdian précise à propos de ses visites, enfant, dans ce dernier lieu, que "c'est là où je suis devenu fier de mon double héritage."

Kaloosdian conclut par une brève relation de ses voyages en 1993 et 1999 à Tadem, appelé maintenant Tadim, où il rencontra un descendant de Hadji Bego et d'un autre ponte local turc.

Dans une postface, Kaloosdian apporte quelques éléments d'information qu'il a rassemblés au sujet des survivants qui ne figurent pas au centre de son récit principal. Dans les annexes, il livre quelques dates essentielles dans la vie des personnages clé qu'il évoque, comme les dates de naissance, de mort et d'immigration aux Etats-Unis : les noms des Arméniens de Tadem qui arrivèrent aux Etats-Unis avant la Première Guerre mondiale et qui rejoignirent la Légion Arménienne sous commandement français afin de combattre les Ottomans durant la guerre; une liste incomplète des femmes de Tadem qui survécurent aux déportations de juillet 1915; une liste incomplète des combattants partisans qui luttèrent sous l'autorité d'Hovannès Der Hovannessian; ainsi qu'un glossaire des mots arméniens et turcs utilisés dans le texte. Son ouvrage inclut une brève bibliographie et un index, ainsi que huit cartes et de nombreuses photographies en noir et blanc.

Une table généalogique de la famille Kaloosdian eût été utile pour garder la trace des relations entre plusieurs individus.

Kaloosdian se révèle le digne successeur de ces travailleurs apparemment infatigables, qui ont compilé les histoires de plusieurs centaines de villes et villages arméniens ottomans après le génocide, afin de témoigner de leurs mondes perdus. Ces derniers écrivaient en arménien et étaient souvent, en fait, des survivants ou leurs contemporains. Kaloosdian a grandi aux Etats-Unis, entouré de la génération précédente, et a pu par chance, des années plus tard, interviewer ses représentants à temps pour élaborer un panorama exhaustif des évènements politiques et sociaux intervenus à Tadem. Avec habileté, il adapte en anglais leurs récits. L'odyssée de son père occupe une place centrale dans le livre, tout en se mêlant avec aisance aux histoires de nombreux autres villageois.

La valeur des témoignages d'Arméniens aujourd'hui disparus est importante. Ils éclairent grandement la dynamique locale du génocide arménien, ainsi que ses suites. Kaloosdian utilise quelques sources d'archives non arméniennes, écrites en anglais, mais avec retenue. Ce qui laisse toute latitude à un autre auteur d'utiliser davantage de sources d'archives européennes et américaines, ainsi que des matériaux ottomans et turcs, pour écrire un autre type de microhistoire.  

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Traduction : © Georges Festa - 10.2015

site des éditions Peter E. Randall (Portsmouth, New Hampshire) :



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