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Les massacres du Sassoun revisités par le Dr. Owen Miller à la NAASR / Sasum Massacres Reexamined by Academic Owen Miller at NAASR

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 Province (vilayet) de Bitlis au début du 20ème siècle
© http://www.houshamadyan.org/mapottomanempire/vilayet-of-bitlispaghesh.html


Les massacres du Sassoun revisités par le Dr. Owen Miller à la NAASR


BELMONT, Mass. - Le Dr. Owen Miller a résumé ses recherches sur les massacres d'Arméniens dans le Sassoun en 1894 lors d'une conférence à la National Association for Armenian Studies and Research (NAASR), le 16 mars dernier.
Professeur associé à l'Emerson College de Boston, Miller fut présenté par Marc Mamigonian, en charge du secteur universitaire à la NAASR. Diplômé de l'université de Californie à Santa Cruz, titulaire d'un master et d'un doctorat de l'université Columbia, il a achevé sa thèse sur le Sassoun en 2015. Sa conférence à la NAASR était accompagné d'un diaporama. Ses recherches sur le Sassoun sont toujours en cours.
Miller aborda le thème de son exposé d'une manière inhabituelle. Il expliqua s'être lancé dans le turc ottoman à Columbia grâce à un manuel rédigé par V. Hovhannès Hagopian, qu'il trouva excellent. S'intéressant à la vie d'Hagopian, Miller fit des recherches et fut stupéfait d'apprendre qu'Hagopian, professeur réputé du Collège Anatolie à Merzifon à l'est de l'empire ottoman, fut tué lors du génocide arménien. Ce qui poussa Miller à en savoir plus sur le génocide, d'où son intérêt pour la région montagneuse autonome du Sassoun, au sud de la ville de Moush. Le Sassoun était dominé par des seigneurs féodaux kurdes durant la première partie du 19ème siècle, mais les forces du pouvoir central ottoman parvinrent à conquérir ces petites principautés.
Opérant souvent, durant son exposé, des rapprochements avec des événements en rapport ailleurs à travers le monde, Miller souligna le fait que les Ottomans achetèrent des fusils modernes et autres armes aux Etats-Unis et en Europe pour avoir l'avantage sur les forces féodales locales. Les efforts des Ottomans rappellent, dit-il, la conquête des hauts-plateaux mayas dans les années 1850 ou les campagnes des Français dans les régions montagneuses d'Afrique du Nord. La même technologie fut utilisée pour dominer à travers le monde.
Au 19ème siècle, tandis que les Ottomans repoussèrent les Arméniens durant toute une série de guerres, un grand nombre de musulmans furent eux aussi chassés de l'empire russe et implantés en guise de contrepoids aux Arméniens ottomans et autres populations considérées comme douteuses par le gouvernement. Lesquels migrants se heurtèrent à leurs nouveaux voisins.
Miller retraça la montée du sentiment nationaliste arménien au 19ème siècle via plusieurs étapes marquantes. L'une d'elles fut l'enlèvement et le viol en 1889 d'une jeune Arménienne de 14 ans, Gulizar, par un seigneur de guerre kurde nommé Musa Bey, qui avait le soutien de l'Etat ottoman. Ce qui suscita un mouvement local de manifestations à Moush et radicalisa les Arméniens dans la capitale ottomane, suite notamment à un simulacre de procès. Même les Européens s'intéressèrent à cette affaire.
De jeunes étudiants à Constantinople créèrent une section du parti hentchak et organisèrent de nouvelles manifestations à Constantinople dénonçant la situation dans les provinces orientales.
A cette même époque, relève Owen, Mihran Damadian, éduqué à l'étranger et issu d'une riche famille catholique de Constantinople, fut nommé à la tête du Collège Nersissian de Moush en 1884 et constata un grande paupérisation au sein de la paysannerie. Il se mit alors à soutenir les milices d'autodéfense contre les seigneurs de guerre locaux.
Entretemps, Hampartsoum Boyadjian, étudiant en médecine, contribua, avec le docteur Djelalian, à organiser une des premières sections du parti hentchak dans la capitale. Ce n'est peut-être pas une coïncidence, fit remarquer Miller, si la première incarnation du Comité Union et Progrès (CUP) fut créée la même année au sein de la même institution que la section hentchak des étudiants en médecine pour des motifs politiques.
De retour à Constantinople, Damadian devint une figure centrale en organisant en 1890 la manifestation de Kum Kapou, réclamant plus d'attention pour les Arméniens des campagnes et s'opposant à l'indifférence - perçue comme telle - du Patriarche arménien à leurs souffrances. Laquelle manifestation provoqua une vague d'arrestations. Damadian s'enfuit à Athènes, ainsi que Boyadjian. Ces arrestations radicalisèrent les Arméniens, beaucoup ayant été arrêtés sous de fallacieux prétextes, souvent dans un but d'enrichissement personnel, par des officiels locaux ottomans.
Revenu dans la région du Sassoun, poursuivit Owen, Hassan Tahsin Pacha, gouverneur général de Bitlis, incita des communautés pastorales à s'en prendre aux potentats locaux, pour qu'il puisse en retour accroître son pouvoir. Tahsin envoya au gouvernement central ottoman plusieurs rapports de plus en plus alarmistes, selon lesquels un grand nombre d'Arméniens, armés de fusils Martini, occupaient les montagnes, prêts à en découdre. Le gouvernement central, à son tour, prit panique. Le sultan ordonna aux forces locales d'anéantir les "bandits" et de semer la terreur.
C'est ainsi que 12 bataillons de soldats ottomans massacrèrent et pillèrent les Arméniens du Sassoun durant trois semaines, entre août et septembre 1894. Les ordres furent exécutés par le commandant de la 4ème Armée ottomane, Zeki Pacha, beau-frère du sultan, bien que le commandant de la cavalerie militaire à Moush, Edhem Pacha, refusa d'obéir à ces mêmes ordres.
Zeki Pacha se rendit au Sassoun après les massacres et écrivit un rapport en guise de couverture. Miller a découvert que ce même rapport devint la version officielle de l'Etat sur ces événements et qu'il fut repris dans un grand nombre de documents ottomans. Il se retrouva même au New York Times et dans plusieurs journaux européens, probablement à l'initiative du gouvernement ottoman.
Miller signala que des missionnaires américains présents dans la région se mirent à recueillir des informations locales sur ces événements. Dans leurs rapports, ils présentaient une situation beaucoup plus complexe, et ces rapports parvinrent eux aussi dans la presse occidentale.
La plupart des journalistes occidentaux se virent refuser l'entrée dans la région, mais deux correspondants plus hardis réussirent à obtenir une information de première main. Le Dr. Emil Dillon, du Daily Telegraph, feignant d'être un Cosaque, réussit à entrer clandestinement dans la région. De même, Frank Scudamore, journaliste au Daily News, écrivit des reportages qui firent sensation.
Malgré l'importance de leurs témoignages, a souligné Miller, les études ottomanes continuent aujourd'hui d'adopter le même genre de posture que l'Etat ottoman vis-à-vis des journalistes, à savoir qu'ils ne sont pas dignes de confiance, tout comme les missionnaires chrétiens.
Miller mentionna brièvement le Zeïtoun et le Dersim, deux autres régions montagneuses autonomes peuplées d'Arméniens (et de Kurdes au Dersim) et aux structures sociétales complexes.
Il conclut par une comparaison de la couverture du massacre de Mӱ Lai par les soldats américains avec celle des massacres d'Arméniens au Sassoun. En 1968 la Compagnie Charlie massacra 400 femmes et enfants, tandis que son commandant, le colonel Oran Henderson tenta d'envoyer la Compagnie Charlie dans la jungle pour que ses membres ne puissent pas témoigner, tout comme Zeki Pacha consigna ses soldats dans leurs baraquements pour le même motif.
Cette tentative pour contrôler le discours historique est largement répandue. Miller fit remarquer, au terme de sa conférence, qu'il est important de comprendre le fait que les archives reflètent le point de vue de ceux qui sont au pouvoir, mais que malheureusement les ottomanistes, encore aujourd'hui, n'ont pas intégré ce fait.
Suite à son exposé, Miller répondit aux questions du public. Interrogé sur les estimations variées du nombre de victimes arméniennes lors des massacres du Sassoun, il déclara que l'absence de données démographiques précises constitue un problème, mais qu'en l'état actuel des connaissances, il considère le chiffre de 1 000 à 2 000 victimes, avancé par Garo Sassouni, comme l'estimation la plus crédible. En réponse à une autre question, Miller critiqua l'ouvrage récent de Justin McCarthy, Sasun: The History of an 1890s Armenian Revolt1, "un travail de recherche des plus problématique." Un ouvrage qui reprend, à ses yeux, pour l'essentiel le rapport de Zeki Pacha, truffé d'erreurs factuelles.                        

NdT

1. Justin McCarthy, Omer Turan, Cemalettin Takran, Sasun: The History of an 1890s Armenian Revolt, University of Utah Press, 2014

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Traduction : © Georges Festa - 08.2017




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