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"Ils ont creusé des fosses et ils les ont brûlés vifs" / "Cavaron pozos y los quemaron vivos"

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 Michael Aram, Migrations, sculpture, 2015
New York, Place de la cathédrale arménienne St. Vartan
© Hazel Antaramian-Hofman, 2016 - CC-BY-SA-4.0
https://commons.wikimedia.org/wiki/


"Ils ont creusé des fosses et ils les ont brûlés vifs"
par Gonzalo Núlez
La Razón (Madrid), 19.04.2015


Massacres, déportations, fuites dignes d'un film... Entre 1915 et 1923, les Arméniens ont subi le harcèlement constant des Turcs, l'exil, la mort et l'oubli. Trois membres du Conseil National Arménien d'Espagne nous racontent les horreurs endurées par leurs ancêtres et leurs chemins tortueux vers le salut. Héritiers de la culture de la survie du premier peuple chrétien au monde, ils gardent encore les témoignages et les souvenirs de leurs proches dans l'espoir que le génocide arménien soit reconnu par toutes les nations du monde.

Glenda Adjemiantz, 43 ans, arrière-petite-fille de survivant

"On aurait dit que Dieu nous avait oubliés."

En Iran déjà, un demi-siècle après les terribles événements qui ébranlèrent son enfance, Shushanik Martikian tremblait encore en les évoquant à nouveau : "La pitié avait abandonné le cœur des hommes, ils étaient devenus des animaux, c'était chacun pour soi." Glenda Adjemiantz (43 ans, née en Argentine et résidant en Espagne depuis l'âge de 13 ans) conserve précieusement ce témoignage de son arrière-grand-mère Shushanik. "Ça fait partie de cette culture de la survie du peuple arménien," note-t-elle. Alors que, du côté paternel, le silence s'installa comme norme face aux atrocités du génocide, son arrière-grand-mère coucha par écrit l'horreur de cette fuite à travers les montagnes, de Van (en Arménie ottomane) à Erevan (zone sous influence russe grâce au traité de Brest-Litovsk de 1917). C'est en 1918 que la famille dut abandonner ses maisons, conservant les clés de ses foyers (comme les séfarades) dans l'espoir de revenir un jour et "gardant des pièces d'or dans les vêtements," ajoute Glenda. Ce maigre patrimoine des petites gens de Van était censé servir à se gagner les bonnes grâces des Kurdes dans leur longue marche. "Comment était-il possible d'abandonner les maisons patriarcales dans laquelle ils avaient vécu durant des siècles, la patrie bien aimée, les tombes des aïeux, les églises et les centres d'enseignement et de culture, les effacer soudain de la mémoire, les oublier, s'éloigner vers un destin incertain, sans savoir dans quel recoin du monde on achèvera son existence ?", écrit Shushanik. L'arrière-grand-mère de Glenda avait 9 ans quand sa famille dut plier bagage face au harcèlement des Turcs. Elle n'oubliera jamais son ultime prière à l'église de Van : "On aurait dit que Dieu lui aussi avait oublié les pleurs et les cris de ses fils chrétiens." Ses premiers fils : l'Arménie adopta la christianisme en 301. Beaucoup tombèrent lors de cette marche vers Erevan. Les maladies, le harcèlement constant des Ottomans, l'égoïsme... Shushanik perdit son grand-père en chemin. Beaucoup disparaissaient sans laisser de traces. "Les malades suppliaient pour qu'on les laisse là, mais comment pouvait-on les abandonner à la cruauté des Turcs ?", note Shushanik. Glenda estime que ses ancêtres ont eu plus de chance que bien d'autres : "A partir de Van c'était plus facile d'arriver à la frontière." Néanmoins, sur le Bandí Mahú, son arrière-grand-mère fut témoin de l'atrocité la plus déchirante, qui resta gravée dans sa mémoire : "Alors que la caravane franchissait le pont, un groupe de Kurdes barbares et sauvages qui étaient venus piller et massacrer des gens sans défense lancèrent une attaque. Les balles pleuvaient comme de la grêle. Je fus témoin d'actes horribles, inhumains. J'ai vu de mes propres yeux de petite fille des mères qui déposaient des pierres dans les jupes de leurs enfants et qui s'enfuyaient ou qui les abandonnaient sans regarder en arrière. J'ai vu une famille de trois personnes - père, mère et une fille de mon âge, belle, très blanche, aux yeux bleus et aux longs cheveux blonds - se précipiter dans la rivière, après s'être signés un dernière fois." Shushanik survécut. La famille s'installa en Iran et, de là, en Argentine. Glenda est le dernier maillon de cette mémoire et, depuis l'Espagne, elle maintient en vie la flamme du souvenir.

Ezrquiel Vartian - 38 ans, petit-fils de survivants

"On en était arrivé au point où on n'avait peur de rien."

 Récemment, Ezequiel, qui est né en Argentine et qui a grandi en Espagne, s'est rendu en Arménie pour la première fois. "L'appel de la terre ne se compare à rien au monde et dans notre ADN il y a déjà l'instinct de survie et de préserver les choses essentielles." C'est là, sur le sol de ses ancêtres, qu'Ezequiel Vartian a senti comme jamais le poids du hasard. C'est par miracle qu'il est de ce monde, puisque son arrière-grand-mère éprouva des remords après avoir abandonné une de ses filles (la grand-mère d'Ezequiel) en chemin. "Mon arrière-grand-mère n'en pouvait déjà plus et dut choisir entre ses trois filles la plus faible, celle qui avait le moins de chances de survivre; mais, après l'avoir abandonnée, elle revint sur ses pas et la recueillit." Quelques années plus tard, sur le chemin de l'exil, la grand-mère d'Ezequiel perdra accidentellement son billet pour le transatlantique Mafalda, qui fit naufrage sur les côtes du Brésil. A nouveau le hasard, le destin. Aujourd'hui, Ezequiel Vartian sait qu'il est le fils de cet enchaînement de coïncidences et aussi du courage de son grand-père face aux calamités sans nombre qu'il dut affronter tout petit. Krikor Vartian souffrit du génocide dès 1915. Il était à peine imberbe lorsque Hakvel, organisateur des massacres ottomans, fit dresser une liste de tous les enfants qui vivaient à Hadjin. "Ma mère décida de ne pas nous amener - explique Krikor dans un témoignage conservé par Ezequiel. Quelques jours plus tard, nous apprîmes qu'ils avaient déporté tous les enfants vers le désert, où ils avaient creusé des fosses, jeté du pétrole et où ils les avaient brûlés vifs." Krikor put s'échapper à Alep (Syrie). Quarante jours de marche dans le désert, un périple biblique avec d'autres survivants. Durant trois ans, il vécut dans des camps de réfugiés, harcelé sans cesse par la Croix Rouge turque pour qu'il se convertisse, orphelin de père (les Turcs l'avaient arrêté sur l'Euphrate et il mourut de maladie six mois plus tard) et privé de ses frères : "Ma sœur fut capturée par les Anglais et un Arabe acheta mon frère cadet, qu'il vendit ensuite pour une pièce de monnaie." Près de 200 000 enfants arméniens survécurent misérablement en Syrie jusqu'en 1918. Un grand nombre d'entre eux moururent et tous furent témoins d'actes d'inhumanité contre les réfugiés, comme l'assassinat d'un prêtre qui tentait de professer sa foi parmi ces jeunes, poursuit Ezequiel. "On en était arrivé au point où on s'était habitués et où on n'avait peur de rien de ce qui pouvait nous arriver dans l'avenir; une façon de vivre déplorable," se souvient Krikor. Ezequiel achève l'histoire : son grand-père s'embarqua pour Montevideo en 1925; c'est là qu'il fit la connaissance de sa grand-mère, la petite fille qui trouva le salut après avoir été abandonnée par une mère impuissante face à l'horreur; ils s'installèrent à Buenos Aires. Le jour de sa mort, Krikor, dans son délire, racontait en criant comment il avait échappé, à 12 ans, aux griffes des Turcs. Pour Ezequiel, il ne fait aucun doute que "ce fut un massacre organisé et systématique, voilà pourquoi il s'agit clairement d'un génocide." Il estime en outre que cette terrible expérience a marqué l'avenir du peuple arménien en exil et qu'elle a forgé son caractère identitaire, mais aussi solidaire et ouvert, prêt à intégrer et à s'intégrer.

Loussik Roumian - 50 ans, petite-fille de survivants

"Ils passaient la nuit cachés dans les cimetières."

"Mon grand-père n'a jamais parlé de ce qui lui était arrivé; il était très traumatisé et faisait toujours des cauchemars; tout ce que nous savons c'est grâce à un ami qui s'enfuit avec lui." Loussik Roumian réside dans notre pays depuis les années 1970. Dans l'histoire de sa famille, si les frontières ont toujours été une anecdote, les événements historiques les plus importantes du 20ème siècle l'ont marquée, à l'instar du peuple arménien tout entier. Son grand-père Khatchatour naquit à Kayseri (l'Arménie ottomane d'alors). A l'âge de 15 ans, les Turcs ont exterminé toute la population. "Ils les firent entrer dans l'église et y ont mis le feu, comme ils ont fait dans de nombreuses localités," note Loussik. On était en 1915 et le génocide inspiré par les Jeunes-Turcs venait de commencer. Fils d'un charpentier, son grand-père parvint à se dissimuler dans une cache à l'intérieur de la maison familiale, puis à s'échapper avec un camarade. "Nous ne savons pas grand chose sur cette fuite, sa durée, mais nous savons qu'ils se cachaient dans les cimetières, dans les tombes, pour passer la nuit." Les deux amis achevèrent leur périple dans la ville d'Odessa, où Khatchatour rencontra Achkhène. La jeune fille ignorait ses origines, poursuit Loussik : "J'ignore d'où je viens, disait ma grand-mère, je suis née dans un village de Roumanie et quand ils m'ont chassée c'était la Bulgarie." L'Europe était alors en pleine effervescence et la guerre mondiale se profilait derrière les guerres balkaniques et à l'aube de la faucille et du marteau. A Odessa, le jeune couple vécut les privations de la Révolution russe, ainsi que les premières années très dures de l'URSS dans cette partie de la mer Noire. Finalement, en 1931, le consul d'Iran accorda des papiers à de nombreux émigrés arméniens et les ancêtres de Loussik s'installèrent à Téhéran, dans un pays où, depuis le 15ème siècle, existe une importante communauté arménienne, bien intégrée et aux traits bien spécifiques, comparée à d'autres communautés. Le père de Loussik épousa une Asturienne et c'est ainsi qu'elle appartient à la première vague d'émigrés arméniens dans notre pays, arrivés après la chute du chah de Perse. Le "boom" de la construction dans les années 1990 et 2000 dans notre pays et le "Corralito" argentin1 favorisèrent une arrivée massive d'Arméniens en Espagne, originaires pour la plupart d'Amérique du Sud. De nos jours, ils constituent une communauté d'environ 40 000 membres, "avec une identité forte, mais sans esprit de ghetto; toujours prêts à s'intégrer." Tous portent dans leur passeport familial une infinité de timbres et de visas, marques des lieux d'où ils viennent et où ils se dirigeront. Il n'y a pas un endroit au monde où ne reposent les ossements d'un Arménien car, comme le rappelle Loussik, "il n'est jamais mort là où il est né." Russie, Iran, Etats-Unis, Amérique du Sud, Roumanie, Bulgarie... Huit millions d'Arméniens vivent actuellement en dehors de leur patrie; seuls trois millions y vivent. Mais pas un Arménien ne manque de faire honneur à ses origines chrétiennes et à son alphabet. Pour eux, le fait que la Turquie reconnaisse pleinement sa responsabilité dans le génocide et que les autres pays commémorent un massacre méconnu encore aujourd'hui, est une question de justice historique.                     

NdT

1. Corralito : nom officieux donné aux mesures économiques prises en Argentine le 1er décembre 2001, lors de la crise économique, par le ministre de l'économie Domingo Cavallo dans le but de mettre fin à une course aux liquidités et à la fuite des capitaux (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Corralito - consulté le 27.07.2017)

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Traduction : © Georges Festa - 07.2017



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