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Derenyk A. Mouradian, L'Arménie durant la 1ère révolution russe (1905-1907), Erevan, 1964; Avétis Aharonian, Œuvres complètes, Vol. 5, Téhéran, 1983 / Armenia During the 1905 Russian Revolution, by T. A. Muradyan; Avetis Aharonian, Collected Works, Vol. 5, Tehran, 1983

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Alexandropol en 1901, in Henry Finnis Blosse Lynch, Armenia: Travels and Studies and the Russian Provinces, Library of Alexandria (USA), 1901 - © https://en.wikipedia.org
  Avétis Aharonian (1866 - 1948) - © https://hy.wikipedia.org


Derenyk A. Mouradian, L'Arménie durant la 1ère révolution russe (1905-1907), Erevan : Académie des Sciences d'Arménie, 1964 [en arménien]

Avétis Aharonian, Œuvres complètes, Vol. 5, Téhéran, 1983 [en arménien]

par Eddie Arnavoudian
Groong, 05.12.2016


L'Arménie durant la 1ère révolution russe de 1905-1907

L'Arménie durant la 1ère révolution russe (1905-1907), de D. A. Mouradian (1964, 260 p.), garde toute sa valeur, bien qu'entachée par un usage immodéré de termes russes et sa grossière diatribe contre la Fédération Révolutionnaire Arménienne (F.R.A.). Rassemblant des données historiques souvent ignorées, l'ouvrage rappelle l'existence en Arménie orientale de fondements économiques et sociaux propices à un mouvement paysan et ouvrier autochtone, bien que modeste. En décrivant la situation sociale d'alors, Mouradian montre, au plan historique, une chose qui était déjà évidente depuis longtemps dans la littérature arménienne. Il est aisé de voir comment une population rurale arménienne appauvrie et une classe ouvrière surexploitée, plus réduite, travaillant dans les mines, les transports et les petites manufactures, seraient enclines à participer à la révolution de 1905-1907, qui déferla dans l'empire tsariste, dont l'Arménie orientale et le Caucase faisaient alors partie.

I.

Comme toute province coloniale, le Caucase fournissait la Russie de l'empire des tsars en matières premières et en productions agricoles - pétrole, cuivre, coton, alcools, tabac, riz - émanant d'entreprises rentables qui, pour les plus avancées, se trouvaient ou passaient rapidement sous contrôle étranger, français ou russe dans un premier temps, puis anglais, suisse, allemand et autre. Un tel développement économique et la nécessité de réseaux de transports furent à l'origine d'une classe ouvrière régionale, composée de diverses nationalités, dans tout le Caucase.

Dans ce qui est maintenant l'Arménie, en 1905-1907, une petite classe ouvrière de quelque 10 à 12 000 travailleurs se concentrait sur le réseau ferroviaire régional, de modestes centres manufacturiers à Alexandropol (actuellement Gumri) et Erevan, mais surtout dans les mines de cuivre d'Alaverdi et de Kapan. Des salaires de misère, de terribles conditions de travail, une exposition constante à des dangers physiques et la menace incessante d'un licenciement immédiat amenaient fréquemment ces travailleurs à manifester.

Appauvrie, ne détenant que 30 % des terres et en proie aux usuriers, la population rurale était elle aussi encline à se révolter. De fait, dès 1903, un soulèvement paysan à Haghpat, dans le Lori, préluda à plusieurs révoltes en 1905. Une communauté paysanne aux abois recourut à l'autodéfense armée (p. 56-57) contre un régime qui, avec l'aide de l'Eglise, utilisait l'armée et la police pour supprimer toute résistance (p. 60). Fait significatif, Haghpat donnera naissance à la première cellule bolchevik arménienne (p. 61), en lutte contre une situation féodale révoltante (p. 57).

Or, le fait de présenter avant tout ces mouvements ouvriers et paysans du Caucase sous l'angle ethnique, arménien, géorgien ou azéri, est une grave erreur, et même une déformation de la réalité historique. Par essence pluriethniques, ces mouvements se développèrent au Caucase au sein de régions et de zones industrielles pluriethniques, y compris lorsque, dans certaines régions bien précises, un seul groupe ethnique prédominait, comme pour les Arméniens à Lori (p. 59). Définir la classe ouvrière en fonction de l'origine ethnique dans les mines et les chemins de fer (p. 62-63), lesquels se répartissaient dans tout le Caucase, est encore plus injustifié. Là aussi, la main-d'œuvre était pluriethnique, tous ses membres luttant de concert contre des entrepreneurs qui les maintenaient dans une situation dont ils n'auraient pas voulu pour leur propre bétail (p. 63). En réalité, le fait pour Mouradian de limiter sa présentation à la région géographique qui constitue aujourd'hui la république d'Arménie est lui aussi artificiel. Et pourtant !

II.

Une première vague de grèves et de soulèvements débuta au printemps 1905 sur la ligne de chemin de fer Alexandropol (actuellement Gumri) - Lori, dans de petites manufactures de cette même ville, les mines d'Alaverdi et de Kapan, la fabrique de cognac, les services publics et d'enseignement d'Erevan (p. 69-81). L'activisme était très élevé chez les mineurs et les cheminots. A Alaverdi, des explosifs furent "libérés" pour armer les masses (p. 111), tandis qu'à Alexandropol les lignes du chemin de fer servant aux mouvements des troupes furent sabotées (p. 119).

En octobre, les cheminots d'Alaverdi et les habitants des villages environnants du Lori formèrent des piquets de grèves pluriethniques. Des grèves dans les postes et le chemin de fer éclatèrent à nouveau en novembre et en décembre avec des piquets de grève pluriethniques (p. 150, 153, 156-7). Reflétant la diversité ethnique, des tracts et des discours en géorgien, en arménien et en russe furent diffusés à Erevan et Alexandropol (p. 164, 165, 173). L'on se demande pourquoi il n'est fait aucunement mention de la participation des Azéris, malgré leur grand nombre alors à Erevan.

En 1905-1906, des grèves se répandent dans les unités de production plus petites, la fonction publique, les maroquineries, les quincailliers et les imprimeurs. En août 1906, une nouvelle série de grèves éclate à Alaverdi (p. 194). Les boulangers rejoignent le mouvement à Alexandropol (p. 197), les employés de banque se mettent en grève à Erevan, tandis que, souligne Mouradian, la Fédération Révolutionnaire Arménienne (F.R.A.) se livre à des sabotages (p. 198). Entre 1905 et 1907, le mouvement de grèves gagne aussi les établissements d'enseignement arméniens, où de jeunes Arméniens élevés en Russie jouent un rôle déterminant (p. 141-142). Au sein de l'armée elle aussi, où travaillent des Arméniens (p. 134), des demandes sont adressées au gouvernement pour qu'il intervienne et mette fin aux affrontements entre Arméniens et Azéris (p. 140).

Même si Mouradian exagère la portée et l'intensité de la lutte des classes en Arménie et au Caucase en 1905, son exposé montre pourquoi le régime tsariste tenta désespérément de noyer le soulèvement social et de classe dans le sang des haines fratricides. Le pétrole de Bakou était vital pour l'empire. Outre sa valeur économique, le Caucase constituait aussi un avant-poste impérial essentiel, convoité par ses rivaux, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'empire ottoman. Bien que modeste, le mouvement révolutionnaire de 1905 au Caucase démontra, s'il en était besoin, une unité potentielle qui, dépassant les divisions et les querelles ethniques, représentait un danger réel pour le contrôle tsariste de la région et pouvait en outre servir d'exemple au reste de l'empire.

L'exposé de Mouradian pâtit du fait qu'il n'étudie pas dans quelle mesure un mouvement multiethnique potentiellement unifié fut affaibli par les massacres fratricides entre Arméniens et Azéris, encouragés par le pouvoir tsariste. Il éclaire cependant certains éléments clé. Il relève les tentatives des bolcheviks pour désamorcer les conflits, notamment dans les gares (p. 127-132), et ravitailler par chemin de fer les régions touchées par les affrontements. Il rapporte le refus révélateur des antagonismes ethniques durant la grève des mineurs de Kapan (p. 201-203), lorsque la main-d'œuvre mixte arméno-azérie résista avec succès à des tentatives pour la diviser au plan ethnique. Dans un grand geste de réplique à leurs employeurs, deux dirigeants syndicaux, l'un Arménien et l'autre Azéri, s'embrassèrent face à la foule des mineurs. La grève avait réussi ! Partout, les travailleurs arméniens travaillaient aux côtés d'Azéris partageant le même état d'esprit.

III.

Sans surprise, pour un historien de l'époque soviétique, Mouradian ne cesse de se montrer polémique vis-à-vis de la F.R.A. Mais, le plus souvent, il ne parvient pas à ses fins. Il ne corrobore guère, si tant est, des thèses comme le fait que, de concert avec l'Eglise, la F.R.A. aida en 1903 le pouvoir tsariste à réprimer le soulèvement paysan dans le Lori. De même, sans preuves à l'appui, il écrit que la F.R.A. s'opposa aux grèves des mineurs d'Alaverdi en 1903 (p. 66-67). Plus tard, dans le Lori, il accuse la F.R.A. de tenter de s'immiscer et de lever des impôts sur les paysans sur lesquels s'abattit la colère de celle-ci (p. 223-4).

Sur un point la critique est éloquente. Les syndicats dans le Caucase, comme en Russie, étaient ouverts aux travailleurs de toutes croyances, origines et opinions politiques. Or la F.R.A. appelait à des syndicats qui fussent des organisations politiques, partant exclusivement ethniques (p. 215). Mouradian cite les bolcheviks Spandarian et Chahoumian qui condamnèrent ces stratégies de division (p. 216, 218-9). Ailleurs, Spandarian est cité pour s'en être pris à la F.R.A., suite à son refus de soutenir la réintégration de travailleurs azéris grévistes, au motif qu'ils n'étaient pas arméniens (p. 177).

Un examen approfondi du rôle de la F.R.A. dans la révolution de 1905 serait le bienvenu. En attendant, cet ouvrage vaut toujours, pour d'autres raisons, la peine d'être lu !

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Andranik Ozanian éreinté par Avétis Aharonian !

Le romancier et critique irano-américano-arménien Hakob Karapents (1925-1994) appréciait hautement son confrère Avétis Aharonian (1866-1948). Son jugement peut être correct quand il parle d'art; de fait, certaines nouvelles d'Aharonian dans son célèbre recueil Sur le chemin de la liberté1 sont remarquables. Mais, tout à la fois idéologue, porte-parole de la F.R.A. et diplomate, la cote de crédit d'Aharonian, au plan de l'honnêteté et de la bienséance, s'effondre à la lecture de l'hommage apparent qu'il rendit à Andranik (1865-1927) à sa mort en 19272. Dans sa "présentation" d'Andranik, commandant de guérilla hors pair et héros national, Aharonian se révèle orfèvre en damnation sans appel sous les dehors d'un éloge des plus fleuri. A travers un hommage supposé qui se veut entier se cache un catalogue pressant, quasiment jubilatoire et vengeur, des échecs, faiblesses, insuffisances et méprises supposées d'Andranik !

Pire encore, le texte exprime un profond mépris pour le peuple arménien.

Aharonian rattache essentiellement le concert de louanges, la sacralisation et le culte dont fait l'objet Andranik, au besoin d'un héros, d'un prince et d'un chef propre à des masses soi-disant plébéiennes, ignorantes et infantiles. Pour ces gens simples Andranik est parfait. Mais pour un intellectuel accompli de la F.R.A., Andranik est tout autre ! Aharonian et ses homologues de la F.R.A. ne pouvaient pas, tout comme aujourd'hui, pardonner ou s'accommoder du fait qu'en 1907, suite à de vives polémiques, Andranik démissionna de la F.R.A. en raison de la collaboration de celle-ci avec les Jeunes-Turcs. Ils ne peuvent ni oublier, ni pardonner à Andranik ses critiques virulentes et son opposition au rôle dirigeant de la F.R.A. dans la Première république d'Arménie.   

D'aucuns pourraient peut-être soutenir que, dans une avalanche de louanges, un hommage qui englobe les victoires comme les erreurs est nécessaire au regard de l'histoire. Certes. Mais Aharonian est aux antipodes d'une telle entreprise. Un bilan objectif d'Andranik est chose ardue, d'autant que ses victoires dans la guérilla, ses envolées téméraires, son audace ont toutes pour cadre une défaite nationale catastrophique, 1915 et le génocide. Les qualités et les faiblesses d'Andranik, ainsi que son apport au mouvement national, doivent être jugés à cette aune. Egaré par son sectarisme, Aharonian ne fait rien de tel.

Aharonian refuse de reconnaître la moindre responsabilité de la F.R.A. dans la défaite de la nation. Aussi se refuse-t-il à expliquer les raisons pour lesquelles Andranik se retira de la F.R.A., raisons qui pourraient pointer un doigt accusateur sur les dirigeants de la F.R.A. Il se refuse à affronter et à analyser l'opposition d'Andranik aux dirigeants, membres de la F.R.A., de la Première république d'Arménie ! Le rejet de la F.R.A. par Andranik reste en travers de la gorge d'Aharonian au point qu'il lui est impossible de s'exprimer avec droiture et sincérité. Dans certains passages retors et ampoulés, il soutient qu'Andranik, malgré ses différences et sa démission, resta membre de la F.R.A., et ce jusqu'à sa mort. Aharonian assimile la F.R.A. au mouvement national - sans souffrir d'exceptions. Andranik, écrit-il à juste titre, faisait partie du mouvement national. Il faisait donc, en substance, partie de la F.R.A. Le tour de passe-passe est tout à la fois manifeste et indigne.

L'héritage littéraire d'Avétis Aharonian est considérable. Mais ce soi-disant hommage rendu à un héros national est pitoyable.                  

Notes

1. Avétis Aharonian, Sur le chemin de la liberté, traduit de l'arménien par R. Der Merguerian et L. Ketcheyan, éd. Parenthèses, 2006, 160 p. (NdT)
2. Avétis Aharonian, Œuvres Complètes en 10 volumes, Téhéran, Vol. 5, 1983, p. 368-430. [en arménien]

[Diplômé d'histoire et de sciences politiques de Manchester, Angleterre, Eddie Arnavoudian anime la rubrique de littérature arménienne de Groong. Ses essais littéraires et politiques paraissent aussi dans Haratch (Paris), Naïri(Beyrouth) et Open Letter (Los Angeles).]  

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Traduction : © Georges Festa - 02.2017
Reproduction soumise à autorisation.



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