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Katherine Berjikian - Entretien avec Sévana Tchakérian, du Collectif Medz Bazar : une musique qui transcende les frontières / A Conversation with Collectif Medz Bazar's Sevana Tchakerian: Music that Transcends Borders

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 © https://collectifmedzbazar.bandcamp.com/


Entretien avec Sévana Tchakérian, du Collectif Medz Bazar :
une musique qui transcende les frontières
par Katherine Berjikian
Hetq (Erevan), 25.03.2016


J'ai croisé à plusieurs reprises Sévana Tchakérian avant d'avoir l'occasion de l'interviewer.

Je me trouvais en Arménie depuis deux jours et, m'ennuyant, je me rends rends avec deux amis dans un café sympa, touristique. Au milieu du repas, Sévana et une personne dont je n'ai jamais vraiment saisi le nom, prennent place. Peu après, presque par ennui, je me lève pour faire mes adieux et partir. Mais Sévana m'arrête avant mon départ et insiste pour me parler de ma tenue.

Elle me déclare que je suis habillée comme si j'étais de Paris, et qu'elle pensait que j'étais une Arménienne de France, et pas des Etats-Unis. L'Américaine en moi prend cela comme un compliment, je la remercie et puis je m'en vais. Ce soir-là, un ami m'apprend que Sévana est une sorte de rock star, quelqu'un de très sympa. Je le crois concernant le côté sympa, mais je ne suis pas sûre concernant le côté rock star. Je trouve peu probable le fait de pouvoir rencontrer par hasard une rock star et que cette personne puisse avoir plusieurs contacts en commun avec moi. L'Arménie n'est pas si petite que ça...

Ce n'est que deux semaines plus tard que je découvre que Sévana fait partie d'un groupe appelé le Collectif Medz Bazar. Un groupe que j'apprécie beaucoup aux Etats-Unis. Sévana est vraiment une rock star.

Ce n'est qu'une semaine plus tard que je trouve le courage de demander à Sévana si je peux l'interviewer. Elle accepte de suite et nous décidons de nous rencontrer cet après-midi là dans ce même café. Nous avons parlé de son engagement dans le Collectif Medz Bazar et de son action dans l'éducation musicale des enfants et la thérapie par la musique.

Avant de poursuivre, j'aimerais présenter rapidement le Collectif Medz Bazar et sa renommée soudaine dans la diaspora. Sans affirmer que le Collectif Medz Bazar est célèbre, ils occupent une part à part dans la mouvance hipster arménienne. Ces deux dernières années, ils ont survolé la planète pour se produire devant des étudiants de la diaspora arménienne. Si les jeunes Arméniens forment la majorité de leurs admirateurs, le groupe en tant que tel est très composite. Ses membres sont issus de toutes origines - françaises, arméniennes, turques et américaines -, ayant tous grandi ou étant venus étudier en France.  

D'après Sévana, quand les membres du groupe se sont rencontrés pour la première fois, ils n'avaient pas pour intention de créer le Collectif Medz Bazar. Les membres arméniens étaient amis de longue date, depuis leur enfance. Mais les autres membres se sont connus plus tard. Certains membres arméniens ont rencontré les membres turcs dans leur université. D'où le fait, apparemment, que le création du Collectif Medz Bazar doit un peu au hasard, m'apprend Sévana.

"On a décidé d'organiser un concert. Une petite jam session en ouverture à l'occasion d'un événement. On ne pensait pas qu'on formerait un groupe. On a juste décidé, un jour, en 2012, de réaliser notre version de six chansons traditionnelles. Chacun a donc écrit une chanson qu'il aimait en arménien, en turc, en arabe, dans des langues différentes... Et on a fait ce concert, qui a très bien marché. On a donc décidé de se revoir et ça a commencé à prendre de l'importance, à devenir plus sérieux. Et c'est devenu mi-professionnel. Au début, on n'avait pas cette motivation en vue."

Le groupe s'intéresse fréquemment à des thèmes concernant la communauté arménienne, mais pas toujours. Par exemple, si la chanson Our Country parle des Arméniens sur le ton blasé des Arméniens de diaspora concernant l'Arménie, et celle intitulée Ariur Ar' Ariur a pour sujet les jeunes Arméniens de diaspora qui perdent leur culture, les membres du groupe ne sont pas tous arméniens. Le titre du groupe reflète les origines multiethniques du Moyen-Orient de ce groupe. Medz signifie grand en arménien, Bazar faisant référence aux marchés du Moyen-Orient, et Collectif, mot français, est une façon de combiner ces trois cultures.

Le groupe lui-même, qui explore les identités variées de ses membres, est une sorte de plateforme dans laquelle chaque groupe ethnique a la parole. Sévana nous l'explique dans cet interview.

"A mon avis, il s'agissait juste de trouver une plateforme où chacun puisse apporter ses chansons préférées et sa culture, car nous sommes tous issus de cultures différentes. Tiens, moi, par exemple. Ma maman est d'Iran et mon père du Liban. Donc j'aime aussi les chansons persanes et arabes. Les Turcs sont de régions différentes. Ils ont donc leurs traditions et leur héritage culturel à eux. On voulait juste créer cette plateforme où chacun amène son truc, on a essayé de faire quelque chose de global et donner la parole à chacun. Collaborer et arranger les chansons ensemble."

De nombreuses chansons interprétées par le Collectif Medz Bazar sont écrites et jouées dans des langues différentes. Certaines, comme Dolama par exemple, une reprise d'une chanson traditionnelle turque, est chantée entièrement en turc. Cela fait partie du côté unique du Medz Bazar - sa volonté d'intégrer les identités de ses membres.

Quand on écoute un album du Collectif Medz Bazar, on a un bref aperçu du Caucase et des nombreuses cultures qui y vivent. Ce que l'on constate dans une histoire que Sévana me raconte durant l'interview sur un des membres turcs du groupe.             

"Par exemple, on a eu une conversation avec un des membres turcs, il y a quelques mois, et ils me disaient qu'avant Medz Bazar ils ne savaient rien de la culture arménienne. Et maintenant ils disent que je connais beaucoup de chansons parce que tout le monde chante ensemble."

Une des choses que l'on remarque quand on écoute les chansons du Collectif Medz Bazar, c'est que tous les membres chantent, quelle que soit la langue. Quand j'ai entendu pour la première fois Medz Bazar, je me suis dit que c'était parce qu'ils connaissaient tous les mêmes langues, et que tous ses membres étaient arméniens avec de bonnes notions en turc. Mais en fait, ce n'est pas vrai. Leur langue commune est le français, et non l'arménien. Durant l'interview, Sévana m'explique comment ce processus fonctionne quand ils écrivent et enregistrent des chansons. "Quand nous apportons une chanson qui est une chanson traditionnelle, nous expliquons les paroles, puis nous apprenons à chacun comment la chanter pour que tout le monde puisse au moins chanter les refrains ensemble. Chacun peut chanter sur scène."

Le Collectif Medz Bazar semble toutefois se centrer actuellement sur la communauté de la diaspora arménienne. Une de ses chansons intitulée Our Country [Notre Patrie], écrite et interprétée par Sévana, est sortie l'été dernier et cible l'attitude de la communauté franco-arménienne vis-à-vis de l'Arménie actuelle. La chanson parle des Arméniens de la diaspora qui arrivent en Arménie pour les vacances l'été et repartent ensuite dans leurs pays d'origine, tout en ignorant la corruption en Arménie.

La chanson compte des phrases comme "Notre patrie est le meilleur lieu de vacances !" et "Diaspora, Arménie, ensemble nous pouvons avancer ! Notre patrie vaut bien mieux qu'un lieu de vacances !"

Si la chanson s'adresse à la communauté arménienne, elle est chantée en français. Quand je demande à Sévana pourquoi elle a choisi d'écrire une chanson politique sur l'Arménie en français, elle me répond : "J'étais un peu révoltée de vivre en France et de savoir que personne ne s'en soucie vraiment. La diaspora arménienne en France est du genre 'Oh ! le génocide ! et patati et patata.' Ils détestent les Turcs et se battent juste pour le génocide. Et ils ne savent pas vraiment ce qui se passe ici. Ils pensent que c'est juste un ancien pays soviétique. Et ils y vont. Les gens viennent ici juste pour quelques semaines... J'avais envie d'en parler. Parce que, quand j'ai écrit ça, j'avais déjà pris ma décision de venir vivre ici en Arménie. Je fais des allers-retours, tout en vivant ici. J'avais envie de donner mon point de vue. Les gens se font parfois une idée très limitée de l'Arménie. Et pourquoi je l'ai écrite en français ? Peut-être parce que je voulais m'adresser aux Franco-Arméniens."

Si le groupe existe depuis de nombreuses années et s'est acquis une grande célébrité à l'étranger, une des choses qui a lancé leur notoriété actuelle a été le concours Tsovits Tsov (D'une mer à l'autre) en 2014. Il s'agit d'une manifestation internationale où participent des concurrents venus du monde entier. Le concours Tsovits Tsov possède une chaîne sur YouTube, où ils présentent des vidéos de groupes interprétant des chansons en arménien. Medz Bazar s'y est produit avec sa chanson Ariur Ar' Ariur, qui évoque la diaspora arménienne perdant sa culture. Même s'il n'a pas gagné, il est arrivé en finale. Ce qui signifie qu'il s'est produit à Moscou avec plusieurs autres groupes de la diaspora arménienne.

Actuellement, les membres du groupe sont dispersés à travers le monde. Sévana, par exemple, vit en Arménie et un autre membre du groupe vit au Portugal. Même si les membres du groupe sont dispersés, cela ne les empêche pas d'écrire et d'interpréter des chansons. En ce moment, le groupe travaille sur son deuxième album, qui inclura leur première chanson écrite en turc et en anglais. Le groupe se produira à Los Angeles le 2 avril à l'Université de Californie du Sud (USC).

Si le groupe a du succès au plan international et attire actuellement un public plus large de fidèles, Sévana est restée en Arménie. Conformément aux critiques présentes dans sa chanson Our Country, Sévana est venue en Arménie et tente d'apporter sa menue, mais importante, contribution au pays.

Lorsqu'elle vivait en France, Sévana dirigeait un conservatoire spécialisé dans l'enseignement musical préélémentaire. A son arrivée en Arménie, elle s'est rendue compte que très peu de choses existaient en matière d'éducation musicale dans l'enseignement préélémentaire. Elle a donc décidé de créer une ONG centrée sur l'éducation musicale des enfants.

"Je suis arrivée ici il y a deux ans et j'ai fait quelques recherches. J'ai réalisé que rien de tel n'existait. Ni programmes, ni écoles. Les enseignants ignoraient tout de l'enseignement préélémentaire et de la thérapie par la musique. Ici la thérapie par la musique est très sporadique et imprécise," m'apprend Sévana.

Sévana contacte alors le Children of Armenia Fund et lance un projet pilote afin de former des enseignants en Arménie à l'éducation musicale préélémentaire et à la thérapie par la musique. Son objectif était non seulement de travailler avec les enfants dans les villages, mais aussi d'apprendre aux maîtres comment enseigner ce programme spécifique, pour qu'ils puissent continuer après son départ. Pour atteindre cet objectif, Sévana a aidé à créer la Tsap-Tsapik Music Education Foundation, une ONG qui s'efforce d'apprendre aux professeurs comment enseigner l'éducation musicale et la thérapie par la musique.

Quand je l'interroge sur la situation des écoles et l'avenir du système scolaire en Arménie, Sévana se dit optimiste, mais pense que le soutien dans ce domaine viendra principalement de la communauté de la diaspora, et non du système éducatif arménien actuel. Selon elle, les ONG et des initiatives comme Ayb School pourraient être le fer de lance de l'avenir du système éducatif arménien. Mais, s'il y a un dysfonctionnement dans le système éducatif en Arménie, ce ne sont pas les enfants qui sont le problème.

"J'aime bien travailler ici. J'adore les gamins ici, comparé à la France ils sont beaucoup plus concentrés, respectueux et avides d'apprendre. C'est beaucoup plus productif de travailler avec des enfants ici."

[Volontaire à Birthright Armenia, Katherine Berjikian travaille actuellement à Hetq.]

Pour plus d'informations, consulter la page Facebook du groupe :

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Traduction : © Georges Festa - 07.2016



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