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Aris Nalcı - Sur la route de l'exil : 100 ans après - A Kayseri (III) / On the Road to Exile: 100 Years Later in Kayseri

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 Vue de Kayseri, 2006
© Jean & Nathalie - CC BY 2.0 - https://commons.wikimedia.org


Sur la route de l'exil : 100 ans après - A Kayseri (III)
par Aris Nalcı


Kayseri

Voyageant en train vers les limites de la province de Kayseri, nous marquons une halte de deux jours pour explorer brièvement le plus grand royaume arménien à avoir existé, situé sur les contreforts du Mont Parsegh (appelé aujourd'hui Ali).

Kayseri a compté une importante présence arménienne jusque dans les années 1970. Aujourd'hui, plus aucune église arménienne n'est en fonction dans cette ville, exceptée l'église Krikor Loussavoritch, située au centre-ville.

Les Arméniens ont aussi contribué à la renommée de la saucisse et du pasterma de Kayseri. En 1915, plus de 50 000 Arméniens vivaient dans cette grande ville commerçante; en 1965, il restait, dit-on, 130 familles. Actuellement, toutefois, ils ne sontqu'une poignée.

La ville occupe aussi une place importante dans l'histoire religieuse arménienne. A son apogée, c'était la ville la plus importante d'Anatolie Centrale. En 250 après J.-C., Kayseri comptait 400 000 habitants; c'est là où saint Grégoire a grandi, où il fit ses études et où il se convertit au christianisme. Plusieurs familles arméniennes célèbres, comme celle du magnat du pétrole, les Gulbenkian, y ont vécu. Leur demeure est actuellement occupée par le "Restaurant Konak." Les employés de ce restaurant savent et expliquent que le bâtiment appartenait à une famille arménienne, mais en ignorent le nom.

La population de Kayseri et des villages environnants évoque volontiers les temps anciens, tout comme les habitants des autres villes.

Le village de Vartan, actuellement "Vatan"

Notre première halte dans la province de Kayseri est un village qui ne reçoit guère de visiteurs : le village de Vartan. Ou, comme on l'appelle actuellement, "Vatan" (Patrie). Les habitants du village ne se souviennent pas de l'ancien toponyme. Ou ne veulent pas s'en souvenir. Mais ils savent. L'ancien site est actuellement en ruines et de nouveaux bâtiments s'élèvent dans le village. Les maisons et les rues sont taillées dans la pierre, et parmi les abris destinés au bétail des fouilles ont cours. Partout où le regard se porte, ce ne sont que trous. Nous ignorons si ces trous sont creusés pour trouver des trésors ou pour protéger du froid les animaux des fermes. Mais les trous creusés à l'intérieur des maisons nous apprennent que des chasseurs de trésors sont passés par là.

Pas une âme dans le village, sauf quelques maisonnées. D'une fenêtre, quelqu'un nous lance : "Les gens viennent maintenant ici pour leurs vacances d'été !"

Le Trésor Public a réclamé l'église, mais...

Une église majestueuse nous accueille. Le dôme s'est effondré. Nous déduisons qu'il s'agit d'une église arménienne grâce à la lettre E figurant sur la porte d'entrée. Nous nous promenons derrière le bâtiment. Puis nous nous arrêtons pour prendre des photos du dôme et nous regagnons la façade. Nous découvrons une porte en fer, à l'emplacement de l'ancienne. Au-dessus de cette porte se trouve une clé. Enthousiasmé à l'idée de pouvoir entrer dans l'église, je tourne la clé, mais la porte ne s'ouvre pas. Je ressors la clé et j'essaie de nouveau, mais en vain. Je suis déçu.

J'apprends des habitants de la maison voisine que les enfants du village en ont fait un jeu. Je suis probablement le seul à avoir été dupé par ce petit tour. Nous continuons de vagabonder autour de l'église, espérant trouver quelqu'un qui puisse nous ouvrir la porte. J'aperçois un gamin qui nous observe de loin et je lui demande où se trouve sa mère. Il entre dans la maison et l'appelle : "Maman ! Viens voir et dis-leur ce qui est arrivé à l'église !"

La dame quitte les aliments en train de cuire sur son fourneau et vient à notre rencontre : "Le Trésor est venu réclamer l'église et a fermé la porte. Et on leur a donné la clé. Autrefois, un de ses proches vivait dans l'église, nous apprend-elle, mais plus tard, quelqu'un l'a dénoncé, alors ils sont venus et l'ont fermée." Elle regrette apparemment cet événement. Finalement, ses proches ont perdu leur maison.

Elle ajoute : "Ils ont creusé à l'intérieur de l'église; elle a été pillée."

Il est évident qu'ils cherchaient un trésor. Mais actuellement l'église est vide et à l'abandon. D'après ce que j'arrive à voir en jetant un coup d'œil par un trou dans la porte, elle a servi de décharge durant un certain temps. Le Trésor l'a prise aux villageois, mais aucun signe n'indique l'intention d'entamer une quelconque restauration.

A un moment donné, la dame nous lance : "Ma nourriture va brûler !" et elle se précipite à l'intérieur. Sans revenir.          

Les Arméniens avec une machine qui écorche les chiens !

Nous voici maintenant dans le village de Dersiyak-Kayabağ. En me promenant de la place du village vers les rues en dehors, j'ai l'impression de traverser les quartiers non-musulmans de Diyarbakır. Des rues étroites, des maisons intéressantes avec des baies vitrées... En bout de rue, une vieille dame est assise sur son toit. Il est clair qu'elle désire nous parler. Nous lui demandons où se trouve l'église. Elle nous indique l'église grecque, de l'autre côté. Elle nous apprend que sa mère lui expliquait que beaucoup de Grecs vivaient ici en bon voisinage. "Parfois, des gens arrivent et posent des questions, papiers en main. Mais, comme disait ma mère, ceux qui sont restés étaient de bien meilleurs voisins. Ils avaient peur. Dans les familles, les hommes étaient rarement à la maison, les femmes vivaient retirées chez elles le soir et ne sortaient pas. Les gens du village les protégeaient." 

Les souvenirs qu'elle a des Arméniens sont pleins d'événements atroces. Même si elle relève la présence de quelques familles seulement dans le voisinage, elle pense que leur nombre est bien plus important. Puis, elle ajoute : "Un jour, les Arméniens ont amené une machine. Des gens du village l'ont vue. La machine qu'ils ont ramenée ici servait à écorcher les chiens. On dit qu'ils jetaient des gens dans cette machine. Chaque année, le 15 avril, je crois, ils font des choses ici. Pourquoi fouillent-ils [dans le passé] ? Comme s'ils n'avaient rien fait de mal ! Si c'est le cas, c'est ok !" 

Cette conversation nous montre à quel point la politique éducative nationale de la république de Turquie a laissé des marques indélébiles dans les esprits, y compris parmi les anciens. Puis, nous prenons congé et nous nous égayons dans les ruelles de Dersiyak.

L'Association Educative et d'Entraide du village de Tavlusun

Kayseri est riche en histoires à apprendre et en lieux à découvrir. Pour notre dernière halte, nous choisissons l'église Sourp Toros sur les hauteurs de Tavlusun. "Oui, oui ! Les [églises] arménienne et grecque sont l'une à côté de l'autre !" nous précise le berger, auprès de qui nous nous enquérons. Nous lui demandons s'il reste encore des Arméniens. Il nous répond, en souriant : "Non ! Ils sont partis !"

La village de Tavlusun s'appelle maintenant Aydınlar. Le premier édifice que nous découvrons à l'entrée du village est une église grecque. Le jardin a été pillé par des chercheurs de trésors. Nous découvrons des ossements humains dans ce qui fut apparemment la tombe d'un prêtre. Emu par le sort du défunt, mon vieil ami creuse la terre pour ensevelir les os dispersés. Deux vastes monastères se côtoient. L'église Sourp Toros est toute proche de l'église grecque. Un panneau de l'Association Educative et d'Entraide du village de Tavlusun est apposé au-dessus de la porte. Mis à part l'église Krikor Loussarovitch au centre de Kayseri, il s'agit du seul lieu où les traces arméniennes, loin d'être dissimulées, sont affichées. L'association de ce village mérite d'être félicitée et soutenue. Les fresques à l'intérieur de Sourp Toros sont très endommagées. Tout n'est que gravats, exceptées quelques inscriptions à peine lisibles sur le plafond. Un trou profond occupe l'endroit où devaient se trouver les chandeliers, à droite de l'autel. Les chasseurs de trésors n'ont pas non plus épargné cette partie de l'église.

Arméniens "cherkessisés"     

Kayseri regorge de lieux à découvrir. Mais des conversations dans un café fréquenté par des habitants de Cherkès, du nom de Gubate, au centre-ville, m'ouvrent de nouveaux horizons - et sans doute aussi, pour de nombreux Arméniens. Les Arméniens sauvés par les habitants du village de Cherkès et les Arméniens "cherkessisés" sont toujours là, me dit-on. Un véritable scoop. Je suis sûr que cette histoire est inconnue de la plupart des historiens étudiant le génocide arménien.

Je me promets de visiter ce village lors de mon prochain voyage. Puis je m'en vais, mon sac à dos empli d'histoires et d'émotions.    

[Remerciements de l'A. : Ce voyage a bénéficié du soutien de l'Open Society Foundation, Istanbul.]

[Aris Nalcı (né en 1980) vit à Istanbul et Bruxelles. Il est écrivain, après avoir été éditeur du quotidien turco-arménien Agos jusqu'en 2011. Ses articles ont paru dans plusieurs grands journaux et magazines en Turquie. Il travaille actuellement pour le quotidien Radikalet à l'IMC (International Media TV) comme présentateur d'une émission consacrée à l'analyse des médias. Il produit aussi GAMURÇ, une émission sur les minorités en Turquie.]

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Traduction : © Georges Festa - 05.2016



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